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ANDRÉ LAURIE.

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JULES VERNE

culation deviendrait impossible. 11 est vrai, l’intention de Khamis était défaire halte entre le soir et le matin, de choisir un abri au pied de quelque tronc si la pluie venait à tomber, de n’allumer de feu que le temps de cuire le gibier abattu dans l’avant ou l’après-midi. Quoique la forêt ne dût pas être fréquentée par les indigènes — et on n’avait pas trouvé trace de ceux qui avaient campé sur sa lisière — mieux valait ne point signaler sa présence par l’éclat d’un foyer. Au surplus, quelques braises ardentes, disposées sous la cendre, devaient suffire à la cuisine, et il n’y avait rien à craindre du froid à cette époque de la saison africaine. En effet, la caravane avait déjà eu à souffrir des chaleurs en parcourant les plaines de cette région intertropicale. La température y attei­ gnait un degré excessif. A l’intérieur de ces immenses bois, Khamis, Max lluber, John Cort seraient moins éprouvés, les conditions étant plus favorables au long et pénible parcours que leur imposaient les circonstances. 11 va de soi que pendant ces nuits, imprégnées des feux du jour, à la condition que le temps fût sec, il n’y avait aucun inconvénient à cou­ cher en plein air. La pluie, c’était là ce qui était le plus à craindre en ces contrées où les saisons sont toutes pluvieuses. Sur la zone équinoxiale se rencontrent les vents alizés qui s’y neu­ tralisent. De ce phénomène climatérique il résulte que l’atmosphère est généralement calme, et les nuages y versent leurs vapeurs condensées en d’interminables averses. Tou­ tefois, depuis une semaine le ciel s’était très rasséréné au retour de la lune, et, puisque le satellite terrestre paraît avoir une influence météorologique, peut-être pou­ vait-on compter sur une quinzaine de jours que ne troublerait pas la lutte des élé­ ments. En cette partie de la forêt qui s’abaissait en pente peu sensible vers les rives de l’Oubanghi, le terrain n’était pas marécageux comme il le serait sans doute plus au sud. Le sol, très ferme alors, était tapissé d’une herbe haute et drue qui rendait le cheminement lent

et difficile, lorsque le pied des animaux ne l’avait pas foulé. « Eh ! fit observer Max Huber, il est regret­ table que nos éléphants n’aient pas pu foncer dans la foret !... Ils auraient brisé les lianes, déchiré les broussailles, aplani le sentier, écrasé les ronces... — Et nous avec... répliqua John Cort. — Assurément, affirma le foreloper. Con­ tentons-nous de ce qu’ont fait les rhinocéros et les buffles... Où ils ont passé, il y aura pour nous passage. « Khamis, d’ailleurs, connaissait ces forêts de l’Afrique centrale pour avoir souvent par­ couru celles du Congo et du Cameroun. On comprendra, dès lors, qu’il ne fût point embar­ rassé de répondre relativement aux essences forestières si diverses, qui foisonnaient dans celle-ci. John Cort s’intéressait à l’étude de ces magnifiques échantillons du règne végé­ tal, à ces phanérogames dont on n’a pas cata­ logué moins de sept espèces entre le Congo et le Nil. « D’autant mieux, disait-il, qu’il en est d’utilisables, susceptibles de varier le mo­ notone menu des grillades. »> Sans parler des gigantesques tamarins qui poussaient en grand nombre, les mimosas d’une hauteur extraordinaire et les baobabs dressaient leurs cimes à une altitude de cent cinquante pieds. A vingt et trente mètres s’éle­ vaient des sabliers de la famille des euphorbiacées,à branches épineuses, à feuilles larges de six à sept pouces, doublées d’une écorce à substance laiteuse, et dont la noix, lorsque le fruit est mûr, fait explosion en projetant la semence de ses seize compartiments. Et, s’il n’eût possédé l’instinct de l’orientation, Khamis n’aurait-il pu s’en rapporter aux indi­ cations du sylphinum lacinalum, puisque les feuilles radicales de cet arbuste se tordent de manière à présenter leurs faces à l’est et à l’ouest ? En vérité, un Brésilien perdu sous ces pro­ fonds massifs se serait cru au milieu des forêts vierges du bassin de l’Amazone. Tandis que Max Huber pestait contre les buissons nains qui hérissaient le sol, John Cort ne