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dans la crique. Pendant la durée du courant contraire, les pirogues mouillaient sur l’animal avec de petites ancres et les hommes dormaient en attendant le renversement de la marée.

Il va sans dire que les autres navires se livraient également à la poursuite des cétacés jusque dans les extrêmes profondeurs de la baie Marguerite. Les Américains, plus particulièrement, furent assez satisfaits de leur campagne.

Le capitaine de l’un de ces bâtiments, l’Iwing, de San-Diego, vint rendre visite à M. Bourcart à bord du Saint-Enoch.

« Capitaine, lui dit-il après avoir causé quelques instants, je vois que vous aviez réussi à souhait sur les côtes de la Nouvelle Zélande…

— En effet, reprit M. Bourcart, et j’espère achever ici ma campagne… Cela me permettra de retourner en Europe plus tôt que je ne comptais et d’arriver au Havre avant trois mois…

— Je vous en félicite, capitaine, mais, puisque la chance vous favorise, pourquoi revenir directement au Havre ?

— Que voulez-vous dire ?…

— J’entends que vous pourriez placer avantageusement votre cargaison, sans abandonner les mers du Pacifique. Cela vous permettrait de recommencer la pêche aux îles Kouriles ou dans la mer d’Okhotsk, précisément pendant les mois favorables…

— Expliquez-vous, monsieur… Où pourrais-je vendre ma cargaison ?

— À Vancouver.

— À Vancouver ?…

— Oui… sur le marché de Victoria. En ce moment, l’huile est très demandée par des maisons américaines et vous livreriez à des prix très avantageux.

— Ma foi, répondit M. Bourcart, c’est une idée, et sans doute une excellente idée. Je vous remercie du renseignement, capitaine, et il est probable que je le mettrai à profit. »

L’île de Vancouver, située dans les eaux américaines à la hauteur de la Colombie anglaise, n’est qu’à vingt-cinq degrés environ au nord de la baie Marguerite. Par bon vent, le Saint-Enoch pouvait l’atteindre en une quinzaine de jours.

Décidément la fortune souriait à M. Bourcart, et Jean-Marie Cabidoulin en serait pour ses histoires et ses prophéties de malheur. Après la campagne de la Nouvelle-Zélande et de la baie Marguerite, la campagne des îles Kouriles et de la mer d’Okhotsk, tout cela dans la même année !…

C’est, du reste, à Vancouver que se fussent rendus les baleiniers américains, et probablement aussi le Repton, s’ils avaient eu leur plein, puisque les cours étaient très en hausse.

Lorsque M. Bourcart demanda au capitaine de l’Iwing s’il avait eu quelques rapports avec ce Repton, la réponse fut négative. Le navire anglais se tenait toujours à l’écart, et peut-être ne saluait-il pas plus le pavillon étoilé des États-Unis qu’il ne saluait le pavillon tricolore.

À plusieurs reprises, cependant, il advint que la poursuite des cétacés dans la lagune ou au milieu de la baie, mit en présence les pirogues anglaises et les pirogues françaises. Par bonheurelles n’étaient pas amenées sur la même baleine, — ce qui aurait pu provoquer des contestations, ainsi que cela arrive quelquefois. Et, assurément, dans la disposition d’esprit où l’on se trouvait de part et d’autre, les contestations auraient pu mal tourner. Aussi M. Bourcart ne cessait-il de recommander à ses hommes d’éviter tout contact avec l’équipage du Repton, en mer, lorsqu’ils croisaient sur les mêmes parages, à terre, lorsque les embarcations allaient faire du bois ou pêcher entre les roches.

En somme, on ne savait pas si le Repton réussissait ou non, et pour tout dire, on ne s’en inquiétait guère. Le Saint-Enoch l’avait rencontré dans sa traversée entre la Nouvelle-Zélande et la côte américaine, et, quand il aurait quitté la baie, il ne le reverrait sans doute plus.

Parmi les cétacés capturés, il y eut un cachalot qui avait été piqué par Romain Allotte à trois mille en dehors de la lagune. C’était le plus gros que l’on eût jusque-là rencontré ?