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Cette fois, le Repton en avait eu connaissance et ses embarcations lui donnèrent la chasse. Mais, lorsqu’elles arriveraient, il serait trop tard.

Afin de ne point donner l’éveil à ce cachalot, la pirogue, filant par jolie petite brise, avait manœuvré de manière à ne point l’effaroucher. Toutefois, quand le harponneur fut à bonne portée, l’animal s’immergea, et il fallut attendre qu’il remontât à la surface.

Trente-cinq minutes s’étant écoulées à partir de son dernier plongeon, il resterait donc à peu près le même temps sous l’eau, et il n’y eut qu’à le guetter.

Son apparition s’effectua dans le temps prévu, à sept ou huit encâblures de la pirogue, qui se lança de toute sa vitesse.

Le harponneur Ducrest était debout sur le tillac, le lieutenant Allotte tenait son louchet à la main. Mais, en ce moment, le cachalot sentant le danger, battit la mer avec une telle violence qu’une lame assaillit l’embarcation et la remplit à moitié.

Comme le harpon l’avait atteint à droite, sous la nageoire pectorale, le cachalot s’enfonça et la ligne lui fut filée avec une telle rapidité qu’il fallut l’arroser pour qu’elle ne prît pas feu. Quand l’animal reparut, il soufflait le sang et quelques coups de lance l’achevèrent sans trop de peine.

Après la fonte du gras, maître Cabidoulin porta au compte de ce cachalot quatre-vingts barils d’huile.

On était à trois jours du départ, fixé au 17 juin. M. Bourcart, se conformant à l’avis du capitaine américain, avait résolu de faire voile pour l’île de Vancouver. Le Saint-Enoch possédait alors dix-sept cents barils d’huile et cinq mille kilogrammes de fanons. Après les avoir livrés à Victoria, le capitaine n’hésiterait pas à entreprendre une seconde campagne dans le nord-est du Pacifique. Cent cinquante jours s’étaient écoulés depuis son départ du Havre, et la relâche à la baie Marguerite avait duré du 9 mai au 19 juin. Sa coque et son gréement se trouvaient en bon état, et, à Vancouver, il pourrait refaire ses approvisionnements.

La surveille du départ, une occasion se présenta pour l’équipage d’entrer en communication avec les hommes du Repton. Voici dans quelles circonstances.

Les pirogues du second et du lieutenant Coquebert avaient eté envoyées à terre, afin de rapporter un reste du bois abattu et faire de l’eau à l’aiguade.

MM. Heurtaux, Coquebert et les matelots étaient déjà sur la grève, lorsque l’un d’eux s’écria : « Baleine !… baleine ! »

En effet, une femelle de forte taille, accompagnée de son baleineau, passait à un demi-mille de la crique en gagnant vers le fond de la baie.

Certes, il y eut unanime regret de ne pouvoir lui donner la chasse. Mais les deux pirogues, commandées pour un autre service n’étaient pas en état, n’ayant ni harpon ni ligne. Il en était de même à bord du Saint-Enoch, qui, ses garants dégarnis, son matériel de virage démonté, se tenait pour ainsi dire en appareillage.

Or, au détour de l’une des pointes de la crique qui les dérobait à la vue, deux embarcations apparurent.

C’étaient les pirogues du Repton, amenées sur la baleine signalée.

Comme elles se rapprochaient de terre, dans l’intention de prendre l’animal à revers, il serait aisé de ne rien perdre de ce qui allait se passer.

Les deux pirogues s’avançaient rapidement sans bruit, séparées par la distance d’un bon mille, car l’une étant partie bien après l’autre. La première venait de mettre son pavillon à l’arrière pour annoncer qu’elle se préparait à attaquer.

Quant au Repton, il attendait, sous petite voilure, à trois milles dans l’est.

MM. Heurtaux, Coquebert et leurs hommes gravirent une butte en arrière du ruisseau, d’où le regard pouvait s’étendre sur toute la lagune.

Il était deux heures et demie, quand le harponneur de la première embarcation se vit à bonne portée pour piquer.

La baleine, qui jouait avec son petit, ne