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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/110

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POUR L’HONNEUR

POUR L’HONNEUR

Par P. PERRAULT

CHAPITRE IV


M. Calixte Lavaur, le père de Gabrielle et des deux fillettes qui discutaient avec un si bel entrain, avait fait toute sa carrière dans l’industrie.

Parti d’une position modeste, ayant eu à lutter contre des difficultés de tout ordre, il n’avait pas atteint sans peine à la haute situation qu’il occupait dans le commerce de la région, où sa maison de fers en gros était cotée parmi les plus importantes. Aussi, bien que trente années de travail lui eussent assuré une très large aisance, ne se décidait-il point à quitter les affaires.

Il lui en coûtait trop de voir passer en des mains étrangères cette maison qu’il avait fondée. Ses filles grandissaient. On allait pouvoir songer à marier Gabrielle. Peut-être, parmi les jeunes gens qui les entouraient, les fils de ses vieux camarades, se rencontrerait-il un jeune homme préparé au commerce, et qui deviendrait tout à la fois un gendre et un associé.

« La position est assez enviable et Gaby assez charmante pour que les candidats ne fassent pas défaut ! » répétait-il souvent à sa femme.

Celle-ci souriait sans répondre… Elle caressait un rêve qui n’était pas tout à fait celui de son mari ; mais ce rêve demeurait soumis à des incertitudes qu’il ne lui appartenait pas de résoudre…

Qui elle eût choisi, s’il lui avait été donné de diriger les événements, c’était Marc Aubertin. Elle était la marraine du jeune homme et plus vraiment sa mère que celle qui en portait le titre. Elle l’avait dès longtemps apprécié et lui eût confié en toute paix le bonheur de sa fille.

Seulement… se plairaient-ils, ces deux enfants ? Et Marc se sentirait-il assez de volonté pour, à vingt-quatre ans, affronter ce rude labeur d’un apprentissage à faire, lui qui ignorait tout du commerce ?

Pauvre comte de Trop ! Il eût cependant rencontré dans cette union la sécurité de l’avenir et les joies de la famille… joies ignorées…

Sa naissance avait été accueillie à l’égal d’un deuil par son père et sa mère, par sa mère surtout. Elle était survenue en pleine débâcle, il est vrai.

Étayée sur des combinaisons dont la base était une vente à réméré de l’usine de céramique qui constituait tout son avoir, la fortune de M. Aubertin avait croulé tout d’un coup, à l’échéance fixée pour le rachat.

C’était justement l’époque où la famille s’accroissait d’un quatrième enfant.

On surnomma le nouveau-né « le comte de Trop », et c’est bien en intrus qu’il fut traité.

D’un caractère violent, peu maître de ses impressions, M. Aubertin n’eut pas la prudence de taire à sa femme le désastre qui les atteignait.

Entré dans sa chambre comme un fou, il lui annonça la vérité, sans songer aux suites possibles d’une pareille confidence, à une période où la santé de la jeune mère demandait les plus grands ménagements.

Une fièvre se déclara, à la suite de laquelle Mme Aubertin resta hideusement bourgeonnée.

La perte de la beauté dont elle était si fière lui fut peut-être plus cruelle encore que celle de leur fortune et elle en garda une rancune obstinée à son bébé ; comme s’il en avait été cause, l’innocent !

Mis et laissé plusieurs années en nourrice loin de la maison, Marc ne fit que passer sous le toit paternel.

Il avait au plus huit ans lorsque sa mère décida son mari à l’envoyer en pension.

Comme elle s’entretenait de ce projet avec