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LA VENGEANCE DU MEUNIER

clair du ciel, des rameaux grêles qui se dressent comme des bras que soulève la pitié.

Pierre et le missionnaire qui l’accompagne descendent du landau et suivent à pied le cercueil. Un groupe d’amis les entourent. Après eux, sept hommes se tiennent sur une seule ligne : les « conscrits » d’Odule Saujon. Les vignerons de Pierre et de l’oncle Charlot les suivent, le brassard de deuil à la manche ; puis la foule.

Et, lentement, en grand silence, on accomplit le trajet du Péage à la Foussotte.

Car le mort rentrera chez lui. Une heure, le toit familial abritera sa dépouille : son frère l’a voulu ainsi, voulu avec une énergie contre laquelle se sont brisées les instances de Pierre et les colères de Caroline.

La grille attend ouverte ; le char funèbre roule lourdement sur le sable ; les portes de la maison, drapées de deuil, laissent entrevoir la chapelle ardente où brûlent d’innombrables cierges.

Entre les masses de verdure disposées en dôme, l’oncle Charlot a désiré que son frère reposât sous les branches de sapin à l’ombre desquelles il a joué enfant ; on a aligné, pour supporter le cercueil, des chaises empruntées à l’antique mobilier, celles qui ont vu Odule tout petit se cramponner à leurs barreaux pour se mettre debout…

Et tout près, tout près, le pauvre oncle Charlot a fait apporter son fauteuil. Il veut pouvoir effleurer de la main la triple enveloppe de bois de camphrier, de plomb et d’ébène, qui le sépare du frère toujours présent, toujours aimé, en dépit de la distance et des années…

À présent, les chevaux sont arrêtés. Avec une hâte jalouse, les vignerons descendent le cercueil. Ils ont déclaré :

« C’est bon pour les étrangers de s’en aller au cimetière en voiture. M. Odule était un enfant du pays, le frère et l’oncle des maîtres : il sera porté par son monde. »

Le vieux curé vient recevoir le corps,

M. Saujon pleure, ses lèvres bégayent un adieu. Et tandis que le cortège se reforme et se déroule, très lent, interminable, petit Greg, à qui Pierre a confié la mission de rester auprès de son oncle, console le vieillard en lui racontant que « les morts habitent chez le bon Dieu qui leur est très pitoyable, très tendre, et les fournit de tout » ; ce qu’on lui a expliqué quand son grand-père est parti.

C’est fini… le père et la mère couchés côte à côte, on fait place entre eux au fils qu’ils n’ont pas revu, mais qui se souvenait puisqu’il