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Si le docteur Filhiol avait jamais formé le rêve de visiter la capitale du Kamtchatka, il allait le réaliser dans les conditions les plus favorables. Sous ce climat salubre, d’où se dégage un air sain et humide, il est rare que l’horizon soit parfaitement net. Ce jour-là, pourtant, dès l’entrée du navire dans la baie d’Avatcha, on put suivre du regard le long profil de ce magnifique panorama de montagnes.

Des volcans nombreux s’ouvrent dans cette chaîne : le Schiwelutsch, le Schiwelz, le Kronosker, le Kortazker, le Powbrotnaja, l’Asatschinska, et enfin, en arrière de la bourgade si pittoresquement encadrée, le Koriatski, blanc de neige, dont le cratère vomissait des vapeurs fuligineuses mêlées de flammes.

Quant à la ville, encore à l’état rudimentaire, elle ne se composait que d’une agglomération d’habitations en bois. Au pied des hautes montagnes, on eût dit un de ces jouets d’enfant dont les maisonnettes sont éparpillées sans ordre. De ces diverses pièces, la plus curieuse est une petite église du culte grec, de couleur vermillon, à toiture verte, et son clocher distant d’une cinquantaine de pas.

Deux navigateurs, l’un danois, l’autre français, sont honorés de monuments commémoratifs, à Pétropavlosk : Behring et le commandant de Lapérouse ; une colonne pour le premier, une construction octogonale, blindée de plaques de fer, pour le second.

Ce n’est pas dans cette province que le docteur Filhiol eût rencontré des établissements agricoles de quelque importance. Grâce à l’humidité persistante, le sol est surtout riche par ses pâturages, et il donne jusqu’à trois coupes annuelles. Quant aux graminées, elles sont peu abondantes, et les légumes y réussissent médiocrement exception faite pour les choux-fleurs, qui atteignent des proportions colossales. On n’y voit que des champs d’orge et d’avoine, peut-être plus productifs que dans les autres parties de la Sibérie septentrionale, le climat étant moins rude entre les deux mers qui baignent la presqu’île.

M. Bourcart ne comptait séjourner à Pétropavlosk que le temps de s’y procurer de la viande fraîche. En réalité, la question n’était pas encore résolue à propos de l’hivernage du Saint-Enoch.

Ce fut l’objet d’une conversation entre M. Heurtaux et lui, — conversation dans laquelle il s’agissait de prendre une décision définitive.

Et voici ce que dit le capitaine Bourcart :

« Je ne crois pas, en tout cas, que nous devions passer l’hiver dans le port de Pétropavlovsk, bien qu’un navire n’ait rien à y craindre des glaces, puisque la baie d’Avatcha reste toujours libre même par les plus grands froids.

— Capitaine, demanda le second, est-ce que vous songeriez à regagner Vancouver ?…

— Probablement, Heurtaux… N’y aurait-il pas avantage à y vendre ce que nous avons d’huile dans nos barils ?…

— Un tiers de chargement… tout au plus… répondit le second.

— Je le sais, mais pourquoi ne pas profiter de l’élévation des cours, et qui sait s’ils tiendront jusqu’à l’année prochaine ?…

— Ils ne baisseront pas, c’est à croire, capitaine, si les baleines, comme il semble, abandonnent ces parages du Pacifique septentrional.

— Il y a là quelque chose de vraiment inexplicable… répondit M. Bourcart, et peut-être les baleiniers ne seront-ils plus tentés de revenir dans la mer d’Okhotsk…

— Si nous retournons à Victoria, reprit M. Heurtaux, le Saint-Enoch y passera-t-il l’hiver ?…

— C’est ce que nous déciderons plus tard… La traversée de Pétropavlosk à Victoria durera de six à sept semaines, pour peu qu’elle soit contrariée, et qui sait si nous n’aurons pas en route occasion d’amarrer deux ou trois baleines !… Enfin… il faut bien qu’elles soient quelque part, puisqu’on ne les rencontre ni dans la mer d’Okhotsk ni dans la baie Marguerite…

— Il est possible qu’elles recherchent le détroit de Behring, capitaine ?…