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— Cela peut être, Heurtaux, mais la saison est trop avancée pour nous élever si haut en latitude… Nous serions bientôt arrêtés par la banquise… Non… pendant la traversée, tâchons de donner quelques coups de harpon…

— À propos, capitaine, au lieu d’hiverner à Victoria ne serait-il pas préférable de retourner en Nouvelle-Zélande ?…

— J’y ai songé, répondit M. Bourcart. Toutefois, pour se décider, attendons que le Saint-Enoch soit de retour à Vancouver.

— En somme, capitaine, il n’est point question de revenir en Europe ?…

— Non… pas avant d’avoir fait une complète saison l’année prochaine…

— Ainsi, demanda M. Heurtaux en terminant, nous ne tarderons pas à quitter Pétropavlovsk ?…

— Dès que nos approvisionnements seront achevés », répondit M. Bourcart.

Ces projets, portés à la connaissance de l’équipage, reçurent l’approbation générale, — sauf celle du tonnelier.

Aussi, ce jour-là, lorsque maître Ollive le tint dans un des cabarets de la bourgade devant une bouteille de vodka, il lui dit :

« Eh bien, vieux, ton opinion sur les résolutions du capitaine ?…

— Mon opinion, répondit Jean-Marie Cabidoulin, est que le Saint-Enoch ferait mieux de ne pas revenir à Vancouver…

— Et pourquoi ?…

— Parce que la route n’est pas sûre !

— Bon !… Tu voudrais hiverner à Pétropavlovsk ?…

— Pas davantage.

— Alors ?…

— Alors le mieux serait de mettre cap au sud pour revenir en Europe…

— C’est ton idée ?…

— C’est mon idée… et c’est la bonne ! »

Le Saint-Enoch, sauf quelques réparations peu importantes, n’avait qu’à renouveler ses vivres frais et sa provision de combustible. C’était une besogne dont l’équipage s’occupa sans retard.

On vit, d’ailleurs, que leRepton procédait au même travail, ce qui indiquait les mêmes desseins. Il semblait donc probable que le capitaine King appareillerait sous peu de jours. Pour quelle destination, M. Bourcart n’avait pu le savoir.

Quant au docteur Filhiol, il consacra les loisirs de cette relâche à visiter les environs, ainsi qu’il avait fait à Victoria, il est vrai, dans un rayon infiniment plus restreint. Au point de vue de la facilité des déplacements, le Kamtchatka n’en était pas encore où en était l’île de Vancouver.

Quant à sa population, elle présentait un type très différent de celui des Indiens qui habitent l’Alaska et la Colombie anglaise. Ces indigènes ont les épaules larges, les yeux saillants, les mâchoires accusées, les lèvres épaisses, la chevelure noire, — des gens robustes, mais d’une caractéristique laideur. Et combien la nature s’est montrée sage en leur ayant donné aussi peu que possible de nez dans un pays où les débris de poissons, laissés en plein air, affectent si désagréablement le nerf olfactif !

Les hommes ont le teint d’un brun jaunâtre et il est blanc chez les femmes, autant qu’on peut en juger. D’habitude, ces coquettes se couvrent le visage d’une baudruche fixée à la colle et se fardent d’un rouge de varech mélangé de graisse de poisson.

Quant à l’habillement, il se compose de peaux teintes en jaune avec l’écorce du saule, de chemises en toile de Russie ou de Boukhara, de pantalons que revêtent les deux sexes. À tout prendre, les Kamtchadales, sous ce rapport, seraient aisément confondus avec les habitants de l’Asie septentrionale.

Au surplus, les coutumes locales, la manière de vivre sont les mêmes qu’en Sibérie sous la puissante administration moscovite, et c’est la religion orthodoxe que professe la population.

Il convient d’ajouter que, grâce à la salubrité du climat, les Kamtchadales jouissent d’une santé excellente, et les maladies sont rares dans le pays.

« Les médecins n’y feraient pas fortune ! » dut se dire le docteur Filhiol, en voyant ces hommes, ces femmes, doués d’une remarquable