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voyaient hocher sa grosse tête ébouriffée, signe qu’il ne partageait point cet optimisme, et cela n’était pas pour les rassurer.

Entre temps, afin d’empêcher la mer montante, en venant de l’est, de pousser le navire plus avant sur l’écueil, M. Bourcart d’accord avec le second, décida de mouiller une ancre à jet par l’arrière.

Maître Ollive et deux matelots parèrent une des pirogues afin de procéder à cette prudente opération sous la direction du lieutenant Allotte.

La pirogue déborda, tandis que le grelin de l’ancre lui était filé du Saint-Enoch.

Suivant les ordres du capitaine Bourcart, le lieutenant fit envoyer un coup de sonde, alors qu’il se trouvait à une cinquantaine de pieds du navire. À sa grande surprise, même après avoir largué une vingtaine de brasses, il ne trouva pas de fond.

L’opération, recommencée à plusieurs places de ce côté, donna un résultat identique, et le plomb ne toucha nulle part.

En ces conditions, mouiller une ancre eût été inutile, puisqu’elle n’aurait pu mordre. Ce qu’il fallait en conclure, c’est que, de ce bord tout au moins, les flancs de l’écueil étaient coupés à pic.

La pirogue revenue, le lieutenant Allotte fit son rapport au capitaine.

M. Bourcart se montra assez surpris. Dans sa pensée, le récif devait plutôt descendre en pentes latérales très allongées, l’échouage s’étant produit presque sans secousse, comme si le navire eût glissé à la surface d’un seuil peu incliné.

On dut effectuer alors des sondages autour du Saint-Enoch, de manière à déterminer autant que possible l’étendue de l’écueil et la profondeur de l’eau à sa surface. Le capitaine Bourcart embarqua dans la pirogue avec le second, le maître d’équipage et deux matelots. Ils emportaient un plomb dont la ligne mesurait deux cents brasses.

Après avoir repris l’opération du lieutenant Allotte, on dut reconnaître que l’extrémité de la ligne n’atteignait pas le fond. Il fallut donc renoncer à mouiller une ancre par l’arrière, ce qui eût permis de déhaler le navire en virant au guindeau.

« Capitaine, dit M. Heurtaux, nous ferions bien de sonder à quelques pieds seulement de la carène…

— C’est mon avis », répondit M. Bourcart.

Maître Ollive crocha la gaffe dans un des porte-haubans, et rangea la pirogue de manière à contourner la coque à cinq ou six pieds au plus. De trois mètres en trois mètres, le second laissait filer la ligne. Nulle part elle ne rencontra le seuil, même à deux cents brasses.

Ainsi, l’écueil n’occupait qu’une étendue très restreinte à une ou deux toises au-dessous de la surface de la mer. Autant dire que le Saint-Enoch s’était échoué à la pointe d’un cône sous-marin non indiqué en ces parages.

Cependant l’heure s’avançait, et rien n’annonçait une levée des brumes. Aussi M. Bourcart voulut-il tenter, au moment où la marée atteindrait sa plus grande hauteur, de déhaler son navire avec les pirogues. En le tirant par l’arrière, il était possible que l’on parvînt à le renflouer au plein de la mer.

Cette manœuvre s’exécuta dans les conditions les plus favorables. Les six pirogues se réunirent en un effort commun, et les matelots souquèrent de toute leur vigueur sur les avirons. Le bâtiment fit-il un léger mouvement de recul ?… un pied à peine. Ce fut tout ce qu’on obtint, et, finalement, l’équipage perdit l’espoir de l’arracher de cet écueil.

Or, ce que n’avaient pu faire les embarcations, si le vent ne le faisait pas, que deviendrait le Saint-Enoch aux premiers gros temps ?… Il serait roulé à la surface de ce bas-fond, il n’en resterait bientôt que d’informes débris… Et, à cette époque de l’année, tarderaient-elles à se déchaîner, les tempêtes qui troublent si formidablement cette portion du Pacifique ?…

Une opération était encore à tenter à tenter pour se remettre à flot. Le capitaine Bourcart, après y avoir mûrement réfléchi, après en avoir causé avec les officiers et les maîtres, dut s’y résoudre, mais en l’ajournant de quelques heures, puisqu’il ne semblait pas qu’un changement