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POUR L’HONNEUR


POUR L’HONNEUR

Par P. PERRAULT

CHAPITRE XI


Après avoir à demi réveillé petit Greg afin de lui annoncer qu’il reviendrait le prendre au cours de l’après-midi, et l’avoir installé sur un canapé, roulé dans des couvertures, Pierre sortit pour aller au-devant du comte de Trop.

Enfin ! on allait en finir. Pourvu que M. Aubertin sût où résidait Legonidec ! Encore que son mystérieux conseiller lui eût assuré qu’à Paris il apprendrait tout, une appréhension lui restait d’avoir à se remettre en chasse.

Le jeune homme était si pressé de traiter ces questions angoissantes qu’il remarqua à peine l’abord joyeux de son ami.

Aussitôt descendu de wagon :

« Une fois en ta vie, tu auras donc eu besoin de moi ? s’écria Marc, la physionomie éclairée d’une joie qu’on y voyait rarement briller.

— Merci d’être venu. Tu vas bien ? ces dames aussi ?

— Tout le monde.

— Tu n’as pas vu ma tante ?

— Non. Diable ! Je ne m’y serais point risqué, toi n’étant pas là. Il y a eu de gros orages entre elle et bonne maman. Ma cousine m’a conté cela. C’est notre petit éleveur d’oies qui a mis les pieds dans le plat, paraît-il… Oh ! ce n’est qu’un feu de paille. Ces dames ne peuvent vivre l’une sans l’autre ; elles se raccommoderont.

— Je l’espère bien ! J’ai une voiture : partons », ajouta Pierre l’air pressé, ne songeant qu’à une chose : la façon dont il aborderait l’entretien.

Mais, sitôt les deux amis assis côte à côte, la confiance accoutumée fit tomber l’embarras. D’un trait, sans se laisser interrompre, Pierre alla jusqu’au bout de sa confidence ; y compris l’inexplicable intervention à laquelle il devait d’être enfin renseigné !

« En voilà de l’imprévu, fit Marc, lorsque son ami lui permit de placer un mot. Pour l’aventure de Niort, elle peut s’expliquer ainsi : parmi les personnes qui ont lu ta note dans les journaux, il se sera rencontré quelqu’un de bien informé, un original et un imaginatif à coup sûr ! qui, ne voulant point se faire connaître, aura eu recours à ce moyen macabre.

— Ne point se faire connaître ? Pourquoi ? interrompit Pierre.

— Le sais-je ?… Peut-être lui eût-il paru désagréable d’intervenir à visage découvert dans une aventure dont le dénouement fera du bruit, croit-il.

— Peut-être, en effet. »

Pierre demeurait pensif, néanmoins, pas délivré encore de l’obsession… Car cette phrase que le message de petit Greg venait de justifier : « Pour votre bonheur, hâtez-vous… » demeurait inexpliquée.

Mais ce n’était point l’heure de s’y appesantir : le présent saisissait toutes ses forces vives, l’obligeant de les appliquer à la si pénible entrevue dont chaque tour de roue le rapprochait.

« Tu m’aideras à retrouver Legonidec, supplia-t-il.

— Oui, je t’aiderai. C’est nous qui avons le plus à réparer vis-à-vis de lui. Mon père nous donnera, je le crois, des indications utiles ; j’ai une vague idée qu’il a dû avoir de ses nouvelles il y a cinq ou six ans. Que tout cela est malheureux ! poursuivit Marc. Combien on doit se méfier de ses impressions !… Et il était depuis trente-cinq ans à l’usine ! Il y avait amassé ces pauvres quatorze mille francs, dont il s’est dépouillé par scrupule de conscience, se jugeant responsable. Mon père sera navré. Tu as bien fait de m’appeler ; je