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P. PERRAULT

t’en remercie, je resterai près de mes parents quelques jours : pas bien longtemps, toutefois. »

Ce même sourire heureux qui illuminait ses traits à sa descente du train reparut un instant. Il hésitait… si tenté de parler ! Un regard jeté sur la physionomie attristée de son ami lui fit comprendre que ce n’était guère le moment. Et il se résigna au silence.

On arrivait.

Ce fut M. Aubertin lui-même qui vint ouvrir. La vue de son fils le stupéfia :

« On t’aura dit que j’étais plus malade ?

— Mais non, papa. Ah ! ça n’y ressemble pas du tout, protesta Marc en embrassant son père avec une effusion où la pitié avait sa part, car il pressentait ce qu’allait souffrir l’ancien industriel, forcé de se reconnaître injuste avec Legonidec.

« Il survient une chose si étonnante, reprit le comte de Trop ; attends-toi au plus invraisemblable. Ce serait un grand bonheur pour nous s’il n’y avait un côté triste…

— De quoi s’agit-il ? Ne me tiens pas ainsi sur le gril.

— Laisse-moi d’abord te présenter Pierre Marcenay, sans quoi tu ne saurais qui je t’amène ; il ressemble si peu au collégien que tu as vu jadis ! »

M. Aubertin serra en souriant la main du jeune homme.

« Heureux de vous revoir, monsieur. Il vous aime bien, ce grand garçon.

— Et je le lui rends », repartit Pierre.

Ils avaient pénétré dans un petit salon, dont la toilette était faite déjà ; un salon pauvrement meublé, mais qu’un pâle rayon de soleil, tamisé par un store d’un rouge éteint, égayait un peu.

Marc s’était promis d’éviter à son ami l’humiliant aveu de la faute d’Odule : c’est lui qui prit la parole.

M. Aubertin écouta d’abord affaissé dans le fauteuil où il avait enfoui son corps toujours las. Lorsqu’il eut compris de quoi il s’agissait, un pli dur se creusa entre ses sourcils ; il n’aimait point à voir reparaître ce souvenir, lié pour lui aux plus mauvais jours.

Mais il ne retournait pas cette fois de racontars vains, de suppositions sans base solide. À mesure que l’indéniable vérité se faisait jour, son buste courbé se redressait. Penché en avant, les deux mains appuyées aux bras de son fauteuil, il haletait maintenant.

Un gémissement rauque sortit de ses lèvres, quand Marc s’informa :

« Sais-tu où il est, père, le pauvre Legonidec ?

— Mort…

— Mort ! s’écrièrent les deux jeunes gens d’une seule voix.

— Depuis six ans. »

Et, se dressant avec un douloureux effort, il sortit se soutenant à peine.

« Où va-t-il ? » murmura Marc déjà debout, prêt à le suivre.

Mais M. Aubertin, qui avait entendu, se tourna à demi :

« Je reviens : attendez-moi ici tous les deux. »

Lorsqu’il reparut, il tenait à la main une lettre que ses yeux, obscurcis par un brouillard de larmes — ces larmes de vieillard qui roulent si longtemps entre les paupières avant de pouvoir couler — s’efforçaient vainement de relire.

« Voici ce que j’ai reçu », articula-t-il d’une voix éteinte, en tendant la lettre à Pierre.

Celui-ci la parcourut d’abord en silence, puis, jetant à son ami un regard où éclataient la pitié et la douleur, il lut à haute voix :


« Monsieur,

« Au moment de mourir j’ai tenu à vous assurer que je ne garde aucun ressentiment de ce que j’ai souffert jadis.

« De tout mon cœur je vous pardonne de n’avoir pas cru sur parole votre vieux contremaître ; encore que pas une fois il ne vous eût donné auparavant un motif de douter de lui.

« Tout était contre moi. À l’heure où je suis, bien que j’y aie réfléchi chaque jour depuis ce jour de honte, je ne peux deviner comment le vol a été commis, ni par qui.