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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/350

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COLETTE EN RHODESIA

LES CHERCHEURS D’OR DE L’AFRIQUE AUSTRALE

COLETTE EN RHODESIA
(La guerre au Transvaal)
Par ANDRÉ LAURIE


XXII

L’opération.


Enfin le grand jour est arrivé. Le docteur Kœrig va procéder à l’opération de la cataracte sur les yeux de Mme Massey.

Avec quel tremblement Colette et Lina, plus encore que la malade elle-même, attendent ce moment redoutable ! Pour Mme Massey, elle est pleine de courage : il lui semble que l’heure n’arrivera jamais assez vite pour lui rendre la lumière bénie, les visages chéris dont depuis de si longs jours elle est privée… Sa Colette, cette fille bien-aimée, dont la radieuse beauté fut dès l’enfance la joie et l’orgueil des siens ! La voir encore, pouvoir l’admirer à son aise, jouir de la grâce de ses attitudes et du charme exquis de son sourire !… quelle joie esthétique peut être comparée à celle d’une mère qui contemple la beauté de son enfant, regarde éclore pour elle le sourire sur ses lèvres charmantes ?… Et Tottie !… voir Tottie !… se rendre compte par elle-même de ses progrès en grâce et en force dont chacun lui parle, mais qu’elle n’a pas eu la liberté de constater !… Voir friser ses jolis cheveux sur son front d’ange ; voir levés sur les siens ces yeux bleus si purs, si limpides, si questionneurs… Mme Massey avait soif de ces joies intimes, et, de toutes les privations que lui imposait sa cécité, la plus cruelle avait été de ne plus voir Colette et Tottie.

Aussi elle avait attendu en comptant les jours et les minutes que l’heure de se mettre entre les mains de l’opérateur fût arrivée ; trop lente à son gré était la marche du mal ; elle aurait voulu pouvoir en hâter la maturité, que la taie se fermât sans retard sur ses pupilles, afin qu’on pût l’arracher plus tôt, la délivrer sans plus tarder du voile qui les assombrissait…

Et le docteur Kœrig, l’éminent oculiste que, sur les Conseils de l’ami Lhomond, on avait appelé auprès de la patiente, avait enfin déclaré le moment venu, il allait enlever la cataracte.

Excellent homme !… si simple, si sincère, savant sans morgue, sans prétention aucune, apportant à l’exercice de son ministère une modestie touchante ! Ce n’est pas, dirait-on, ceux qu’il a sauvés d’un sort pire que la mort qui lui doivent de la gratitude, mais bien lui qui en ressent envers les malades qui se sont laissé guérir… « Une si belle nature !… Un si beau terrain d’opération !… » s’écrie-t-il. Et il s’ingénie de mille façons délicates et affectueuses à leur prouver qu’il est leur obligé…

Bien rares sont de tels caractères, et, quand on les rencontre, on prend meilleure opinion de la nature humaine. Tous ceux qui ont reçu les soins du docteur Kœrig lui ont voué une reconnaissance et une affection sans bornes. Si la profession médicale contient malheureusement trop de charlatans, de véritables industriels, exploitant sans pitié à leur profit la souffrance humaine, on y rencontre des âmes d’élite, des cœurs d’or, et, parmi ceux-là, le bon docteur Kœrig occupe le premier rang.

L’excellent homme, de longue date ami du docteur Lhomond, s’était vite pris d’affection pour toute la famille. Une admiration enthousiaste pour Mme Massey et Colette. Une amitié vraie pour M. Massey et les jeunes gens, sans excepter Lina. Mais une passion véritable pour Mlle Tottie… passion réciproque, car, du plus loin qu’elle apercevait la longue silhouette voûtée, dégingandée de son grand ami, la petite courait à toutes jambes se jeter dans ses bras… puis, il faut l’avouer, se mettait en