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COLETTE EN RHODESIA

LES CHERCHEURS D’OR DE L’AFRIQUE AUSTRALE

COLETTE EN RHODESIA
(La guerre au Transvaal)
Par ANDRÉ LAURIE

XXII (Suite). — L’opération.


Lady Theodora à Colette.


Avec quelle joie, chère amie, nous recevons la bonne nouvelle ! Mon mari et mon frère vous ont télégraphié leurs affectueuses félicitations ; mais ils me prient de vous les répéter, de vous dire que nul après vous-même ne se réjouit plus que nous de l’heureux succès de l’opération. Je puis bien vous l’avouer maintenant, je le désirais trop pour y croire absolument. Le cher docteur Lhomond avait beau me répéter que la chose était archi-sûre… (à propos, que devient cet aimable sorcier, et pourquoi ne m’écrit-il pas ? Dites-lui de ma part que lorsqu’on sauve la vie aux gens, c’est bien le moins qu’on leur fasse signe de temps à autre et que je le somme de m’adresser sans délai une longue épître très amusante et très spirituelle : rien ne lui sera plus facile !) Je disais donc, le docteur avait beau m’affirmer sur sa tête qu’il n’y avait pas l’ombre d’une inquiétude à garder, l’épreuve était si délicate, l’opérée si chère, si précieuse à tous qu’on ne pouvait s’empêcher de trembler. Enfin, Dieu merci, c’est fini de craindre : l’affreux cauchemar est dissipé. Quelle merveille parfois que cet art médical ! et combien il faut révérer un savant comme votre docteur Kœrig.


Ainsi que vous me l’écrivez justement, un seul homme de ce type suffirait à faire oublier le charlatanisme, l’insuffisance, la cupidité, les fiascos lamentables qui trop souvent suivent les pas de ses confrères. Bien entendu, j’avais plus d’une fois ouï parler de l’opération de la cataracte, mais sans m’y intéresser particulièrement, ne l’ayant vu appliquer à personne qui me touche. Tandis qu’ici ! J’ai vu les chers beaux yeux s’obscurcir par degrés : j’étais là à l’heure triste où toute lueur s’effaça pour eux, et cette guérison, dont j’acceptais sans discuter la possibilité tant qu’il ne s’agissait que de sujets impersonnels pour moi, me semblait tout à coup problématique ; je me disais que pour rendre la vue à votre mère bien-aimée, il ne faudrait rien moins qu’un miracle. Et c’en est bien un ! Ne lisons-nous point dans la Bible que lorsque le pauvre Tobie perdit la vue, l’archange Raphaël en personne vint s’occuper de la lui rendre. Aujourd’hui, les anges médicaux n’ont point d’ailes, mais leur ministère, lorsqu’ils l’exercent comme le docteur Kœrig, n’en est pas moins vénérable, et leurs miracles n’en sont pas moins surprenants.

Je me représente une à une toutes les délices de votre excellente mère à revoir les chers visages éclipsés pour un temps. Je me demande si elle vous a trouvés changés, ou si elle vous revoit tels que l’imagination vous peignait à elle dans les ténèbres où elle était plongée. Je ne sais, mais il me semble que c’est Tottie que les bons yeux maternels ont eu le plus de bonheur à revoir — si tant est que ces choses-là se mesurent ! C’est un si délicieux petit objet que Tottie, un véritable rose-bud. Permettez-moi d’user de l’expression anglaise : votre mot à tout faire de bouton me satisfait moins, fâcheux avec ses attributions variées plutôt qu’agréables.

Savez-vous que ladite Tottie est en train de devenir par ici un personnage populaire ? Les divers « instantanés » que j’ai pris d’elle et de son ami Goliath ont un succès fou ; on se les arrache ; tous mes amis en veulent avoir, et le fait est qu’il en est qui sont de petits chefs-d’œuvre — vanité de photographe à part — une des plus vivaces qui soient pourtant !

Je ne prétends pas dire, d’ailleurs, que le succès de Tottie soit comparable à celui qu’ob-