fit Colette, revenant à la charge, la voix tremblante.
— Elle l’est devenue par le fait », dit Mauvilain avec effort en détournant les yeux du doux visage inondé de larmes qui l’implorait. Puis il ajouta, la gorge serrée :
« On vous indemnisera. » C’en était trop ; et devant le concert d’imprécations qui accueillit ce mot, l’intransigeant patriote, troublé et décontenancé, fit entendre quelques excuses incohérentes :
« Pardonnez… ma langue a trahi mes intentions… Je n’ai point l’art des belles paroles. J’ai un regret mortel de vous affliger… je voudrais tout faire pour pallier… mais la raison d’État…
« … Tenez, fit-il soudain, je veux vous donner la preuve que la nécessité, non pas mon caprice, m’obligea prendre la mesure qui vous est si cruelle. Ce mot d’indemnité qui vous a froissés, qui vous a paru brutal, le trouverez-vous encore tel, si en échange de votre éléphant je vous livre ce prisonnier que vous regrettiez tant de laisser ?
— Lord Fairfield ? s’écrièrent plusieurs voix incrédules.
— Oui, lord Fairfield, dit le Boer fièrement. Vous ne direz plus, j’espère, lady Theodora, que je ne sais pas payer mes dettes…
— Mais… il n’est pas en état de voyager à cheval… dit-elle un peu ébahie.
— Vous aurez une voiture d’ambulance… à la condition, bien entendu, qu’il donne sa parole de ne pas servir jusqu’à la fin de la guerre.
— Il ne la donnera pas ! s’écria lady Theodora avec force. Et je vous jure, moi, à sa place, qu’il reprendra les armes aussitôt qu’il le pourra et vous fera tout le mal possible. — D’ailleurs il n’accepterait pas, même pour gagner sa liberté, un marché qui léserait nos amis !…
— Ceci, dit le Boer redevenu calme, est une question qui ne le regarde point ; car, quoi que vous, décidiez, je garde l’éléphant. J’ajoute, reprit-il après un moment, que je laisse au prisonnier la liberté sans conditions. Le Boer saura montrer qu’il n’est inférieur à personne en fait de générosité. »
Et, s’étant incliné non sans dignité devant sa belle ennemie, Mauvilain se retira de la lice.