Page:Magasin d education et de recreation - vol 15 - 1871-1872.djvu/352

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Voulez-vous ? Je voudrais tant que ce fût fini dimanche prochain !

— Je veux bien. Mais il ne faut rien déranger pour moi.

— C’est pour moi ; oh ! moi, je veux mon fauteuil. Non, ce ne sera pas bien difficile. On serrera seulement un peu les derniers. Ils ne sont pas tous pareils. Vous avez bien vu que ceux de papa et de maman sont plus grands. C’est cela qui a fait l’erreur. Eh bien, alors, Édouard, vous viendrez avec nous demain matin ? Émile vous réveillera. Vous verrez comme c’est amusant de se lever de bonne heure. »

Le lendemain, à l’appel d’Émile, Édouard sauta de son lit. Il avait les veux gros, et dès ses premiers pas au dehors, il trouva l’air bien frais. Mais quand il marcha dans la campagne, avec ses amis, portant une bêche sur l’épaule, dans l’air pur et vivifiant du matin, il se sentit plus joyeux et plus à l’aise qu’il n’avait été depuis longtemps.

Il y a dans l’air matinal quelque chose qui surexcite et élève. On s’y sent plus fort, plus courageux ; il semble qu’on se trouve, avec des forces nouvelles, au commencement d’une nouvelle carrière, et c’est cela en effet, et il dépend de vous, rafraichi par le sommeil, de produire, une tâche utile, de faire de ce jour un jour fécond.

De même, autour des enfants, tout semblait sortir d’un bain de force et de jeunesse. L’herbe était admirablement fraîche, avec sa rosée blanche de lumière ; le ciel, sous ses voiles, était profondément doux, les arbres étiraient au jour leurs fibres alanguies, et l’on eût dit qu’ils soupiraient comme un dormeur qui s’éveille, quand des bruits d’ailes partaient d’entre leurs rameaux. Au bord de la Loire, les prés étaient ouatés d’une brume si épaisse, qu’il semblait, comme dit Édouard, que ce fat un nuage tombé. C’était le contraire : un nuage qui allait monter.

Pour arriver au coteau, après avoir passé le pont sur la Loire, ils traversèrent le village de Trèves. Là, portes et volets fermés, tout dormait encore, sauf les coqs vigilants, et quelques braves chiens, qui déjà connaissaient Amine et son frère, et qui vinrent présenter à la main des enfants leurs têtes caressantes. À se voir ainsi les seuls éveillés, sur ce monde endormi, nos petits promeneurs n’étaient pas peu fiers, et ils éprouvaient quelque chose du sentiment qui saisit le cœur de l’homme dans les terres désertes ; ils se sentaient rois par la pensée de ce grand espace qui les entourait.

Puis, ils gravirent le coteau, par un sentier rocailleux, mais bien joli, le long duquel se rencontraient des bancs de violettes en fleurs sous la rosée, et des primevères jaunes, et des orchies violettes ou panachées, tandis que sur les rochers, dans les haies, partout, s’épanouissait la verdure toute neuve de l’année, l’aubépine luisante et la délicate églantine, de jeunes rameaux de toutes formes et de toutes couleurs, du brun rougeâtre au jaune clair, et les fleurs blanches du prunellier et du cerisier.

C’était un peu plus haut qu’à mi-côte, sous de gros rochers, qu’Émile et Amine avaient découvert la mousse la plus belle, si épaisse et si touffue, qu’en s’y jetant on y enfonçait comme dedans un bon lit. Arrivés là, nos travailleurs s’arrêtèrent ; la bêche quitta leur épaule, et ils se mirent, après quelques instructions données à Édouard, à découper chacun son carré de mousse. Édouard s’y mit avec ardeur, et il avait enlevé, bien profondément, un beau carré, et il se disposait à l’aller porter dans la brouette, au bas du coteau, quand, se relevant, il resta frappé d’un grand spectacle :

C’était le soleil qui paraissait à l’horizon et jetait ses premières lueurs dans