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Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/117

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mier sauvage, du prunier épineux, de l’alisier et de quelques merises, nous n’avons rien qui nous appartienne.

Sa ligne de migration des végétaux suit la même direction que le soleil, elle va comme lui d’Orient en Occident ; la nature organique se meut incessamment vers le couchant, emportant avec elle la richesse végétale des pays qu’elle délaisse. Où sont les riches moissons de l’Asie Mineure ? Le trèfle, qui prospérait jadis en Grèce et en Italie, a abandonné ces deux pays et s’est rejeté vers le Nord. L’Égypte ne produit plus de fèves ; on y chercherait en vain la vigne de Marcote qui égayait les convives de Cléopâtre ; et pendant ce temps, l’extrême Occident, l’Amérique s’enrichit végétalement de plus en plus, ses céréales inondent nos marchés ; l’artichaut et le pêcher couvrent des espaces considérables des pampas où ils ont été transportés ; et qui sait si, en fait de pomologie, les États-Unis ne seront pas bientôt devenus nos maitres !

(Le Temps.) Mi pr CHERVILLE.


LA JUSTICE DES CHOSES

LA FERME DES RAVENEL

Dès huit heures, le lendemain, la petite colonie partait à pied, sous le beau soleil matinal de mai, le plus pur, le plus charmant des douze soleils de l’année. Il n’avait pas encore fini de boire toute la rosée couchée sous les arbres et les buissons, et déjà cependant il faisait chaud hors de l’ombre, et toute la campagne était éclairée en fête, avec de belles ombres bleues dans les fonds et autour des bois. Les notes sonores, qui s’échappaient des cloches du village, dansaient avec les bourdons et les moucherons dans l’air, et les oiseaux, qui pourtant ne font pas leurs classes pendant la semaine, chantaient aussi le beau dimanche à pleine voix, dans les feuillées nouvelles, encore petites et jaunettes, qui reluisaient encore des sucs du bourgeon, comme les papillons au sortir de la chrysalide, ou comme l’oiseau au sortir de l’œuf. Verte de santé, l’herbe croissait à cœur joie, toute mêlée de fleurs, belles ou mignonnes, et que l’on ne pouvait s’empêcher de cueillir, tant on voyait bien qu’elles étaient faites pour être admirées, aimées, baisées, et non pour demeurer seules à se faner tristement. Ensuite, cela ne retardait guère ; il y en avait tant au bord du chemin ! On courait vers la fleur la main tendue ; on la happait comme fait l’hirondelle au vol, et l’on revenait vers le gros de la troupe d’un nouveau coup d’aile ; car, si l’on trouvait Ja route charmante, on n’en était pas moins pressé d’arriver. Bien que la ferme ne fût guère qu’à une lieue de Trèves, il semblait, à voir de quel pas leste et relevé l’on marchait, qu’on eût entrepris le tour du monde. Et les visages rayonnaient ! Et l’on était si jaseurs, si butineurs, si gais, si chanteurs, si légers, si bons, si naïfs, si inventifs, si charmants, si bourdonnants, si bruyants, si capables de tout enfin et si enivrés, que c’était