Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/147

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il recula pourtant devant ce coup de tête, en songeant que ses parents en seraient instruits. Il avait tant à se faire pardonner près d’eux !

Plein de chagrin et de dépit, les mains dans ses poches, les sourcils froncés, grommelant ainsi, Édouard marchait au hasard, quand il se trouva devant la porte de la grange qui était ouverte. Il avait besoin de solitude, étant en colère contre tout le monde. Il entra donc, referma la porte, et se jeta le long de la meule de foin, au-dessous d’une grande ouverture sans châssis, qu’elle bouchait à demi, et qui servait, à l’époque de la récolte, à engranger le foin du haut des charrettes. Mais la solitude ne pouvait le calmer, car il n’était pas seulement mécontent des autres, mais de lui-même, et il savait bien que c’était par sa propre faute qu’il subissait tous ces désagréments. Aussi, là, au bruit lointain des rires de ses camarades, ne se livra-t-il qu’à des réflexions pénibles. C’est une grande amertume que de se croire l’objet de l’hostilité de ses semblables, et il n’est guère moins cruel, un beau jour de mai, d’être relégué dans une grange, avec du vieux foin, quand il fait si bon dehors, et que les herbes et les fleurs nouvelles remplissent l’air de leurs frais parfums.

Édouard était là depuis une heure, quand il entendit les voix de la troupe joyeuse se rapprocher, et il saisit son nom, entre mille paroles confuses.

« Ah ! pensa-t-il, ils me cherchent. Oui, c’est cela, ils veulent continuer leurs aimables plaisanteries. Mais je resterai seul, »

Et il alla placer derrière la porte de la grange, déjà fermée à l’intérieur par un loquet de bois, un madrier qu’il assujettit en arc-boutant. Puis il retourna s’asseoir sur le foin à la même place. Les enfants arrivèrent à la porte, voulurent l’ouvrir, et la trouvant fermée en dedans, parurent étonnés et se consultèrent. La porte avait de grands jours, à travers lesquels plus d’un nez curieux passa, tandis que son propriétaire cherchait à voir ce qui se passait dans l’intérieur de la grange. De nouveau, Édouard entendit son nom.

« Parbleu ! disait-il en lui-même, je sais bien que c’est à moi que vous en voulez ; mais je ne consens pas à vous servir de plastron, et je soutiendrai plutôt un siége s’il le faut. »

Avisant dans un coin un tas de pommes de terres gâtées, il pensa même qu’il pourrait s’en servir comme de projectiles, si le rempart était forcé ; car assurément il ne se rendrait pas sans combat, non ! Toutefois, en attendant cette extrémité, mieux valait rester coi et déconcerter l’ennemi par son silence.

À force d’y réfléchir, Édouard en était arrivé à la conviction que c’était Ravenel qui, derrière lui, avait excité le jars. Cette morsure lui faisait mal encore, et en la frottant, il se répétait d’un ton amer :

« Oui, oui, brave faimille et douce hospitalité ! merci, M. Ledan, de vos bons amis ! »

Toujours colère, et le cœur battant d’émoi, tandis que les enfants ébranlaient la porte, ce n’était qu’à force d’irritation, qu’il se retenait de pleurer.

Le siége dura peu. Après quelques essais infructueux, la petite bande se retira. Les voix s’éloignèrent, tournèrent autour de la grange et Édouard se dit qu’il était délivré. En se retrouvant seul dans ce bâtiment sombre, il n’en était guère moins triste cependant.

Tout à coup, le jour qui y régnait s’assombrit encore. Dans l’ouverture d’en haut passa comme une ombre, et Édouard entendit quelque chose tomber sur le tas de foin, qui s’élevait à une vingtaine de pieds au-dessus de sa tête. De nouvelles