Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

alternatives d’ombre et de clarté se produisirent en même temps que de nouveaux bruits, et Édouard allait se lever pour essayer de voir ce que ce pouvait être, quand, juste au-dessus de lui, un corps lourd glissa comme une avalanche, et deux souliers ferrés, tombant sur ses épaules, le plièrent en deux, tandis que le personnage auquel ces souliers appartenaient, roulait en pelote sur le foin répandu à terre.

Meurtri de cette rude secousse, et cherchant à se relever, Édouard avait à peine eu le temps d’entrevoir la figure étonnée de Jacques, se ramassant près de lui, quand un nouveau choc, tout semblable, le frappa de la même manière. C’était Ernest. Édouard, irrité, s’apprêtait à leur rendre en coups de poing la monnaie de leurs coups de pied ; mais il n’était pas ferme sur ses jambes, qu’une troisième avalanche lui passait sur le dos, et puis il n’y eut plus moyen de compter, et ce fut en vain qu’Ernest et Jacques joignirent leurs cris d’avertissement aux cris de colère d’Édouard : l’élan donné, toute la bande y passa ; l’un n’était pas tombé que l’autre glissait à son tour, et le pauvre Édouard n’avait pas le temps de se relever qu’un nouveau poids venait le courber à terre. À la fin, quand tout le monde fut en bas, et quand Édouard, enfin remis sur ses pieds, écumant de rage, s’avança le bras levé, contre ses agresseurs, toute la bande lui partit au nez d’un éclat de rire. Seul, Ernest lui demanda s’il n’avait point de mal ?

« Et que diable faisais-tu là ? ajouta Charles. »

Édouard ne pouvait, malgré sa fureur, battre tout le monde. Oubliant qu’il allait avoir bientôt onze ans, et ne pouvant plus contenir sa douleur et sa colère impuissantes, il fondit en larmes, et alla s’enfoncer dans le coin le plus reculé de la grange, sans vouloir écouter Ernest qui le suivait en disant :

« Nous ne l’avons pas fait exprès. Est-ce que tu as bien mal ? Viens donc il ne faut pas bouder pour cela.

— Laisse-moi, Tartufe, lui cria Édouard au milieu de ces sanglots. Je te connais, va ! Je sais ce que vous êtes, tous, et vous me revaudrez Ça | »

Reçu de cette façon, le médiateur se retira, et la petite troupe sortit de la grange, en se livrant à mille commentaires justificatifs de sa propre conduite, et peu favorables à Édouard.

Ce pauvre enfant restait plongé dans un chagrin plein tout à la fois de ressentiment, de vanité froissée, d’amertume, quand il entendit un pas nouveau pénétrer dans la grange, dont les enfants avaient en sortant laissé la porte ouverte. Sans savoir qui ce pouvait être, il s’enfonça plus profondément dans son coin obscur et ne tourna point la tête. Après avoir exploré la grange, les pas se rapprochèrent d’Édouard.

« Est-ce encore l’un d’eux qui vient me persécuter ! se demanda-t-il. »

Et la colère le reprenant, il serrait les poings. Mais une voix s’éleva, qui avait un accent particulier de douceur et qu’il reconnut pour celle d’Antoine.

« Monsieur Édouard ! »

Et Édouard ne bougea pas.

« Monsieur Édouard, parlez-moi, je vous en prie, j’ai quelque chose à vous dire.

— Laissez-moi, grommela le petit garçon. Je ne demande qu’une chose, c’est qu’on me laisse tranquille.

— C’est qu’ vous croyez que l’on vous veut mal ici, monsieur Édouard ; mais vous vous trompez. Tout not’ monde vous a reçu avec plaisir, vous comme les autres, et s’il vous est arrivé quelques petits désagréments, ça n’est pas par malice, j’ vous assure.