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LA JUSTICE DES CHOSES

LE SALON D’AMINE. — CHARLES

Trois jours après la chute d’Édouard, arriva le dimanche où l’on s’était promis d’examiner en commun si la justice des choses était une vérité, chacun devant apporter sa preuve pour ou contre.

Donc, on se rendit après midi au salon d’Amine, où l’on s’installa chacun sur son fauteuil de mousse, et seul le pauvre Édouard dut être couché sur le sien avec l’appui de deux ou trois oreillers. La séance avait lieu sous la présidence de Me Ledan, qui l’ouvrit par ces paroles :

« Eh bien, mes enfants, nous sommes ici réunis pour chercher à reconnaitre, par le raisonnement et par l’expérience, si vraiment la force des choses est en elle-même une justice ; en d’autres termes, si tout mal emporte sa peine avec lui, par conséquent si le meilleur moyen d’être heureux est de bien faire. Je vous avoue que, pour moi, cela me parait logique autant qu’équitable et naturel. Comme il y a des lois d’hygiène physique, il doit y avoir de même des lois d’hygiène morale, et, dans l’un comme dans l’autre ordre de choses, l’excès, la déviation, l’erreur doivent entrainer le désordre, le trouble, la maladie, le malheur. Toutes mes observations jusqu’ici, aussi bien que mes réflexions depuis quelques jours, n’ont affirmé qu’il en est ainsi, et j’en pourrais citer de nombreux exemples. Cependant, ce n’est pas tout en fait de certitude que de réunir un grand nombre de faits affirmatifs, il faut aussi qu’aucun fait contraire ne les démente. Examinons donc, sans parti pris, les preuves pour ou contre, et que chacun dise ses raisons. — Qui prend la parole ?

— Moi ! » dit Charles aussitôt en levant la main.

On s’attendait à cette exclamation ; car, depuis le commencement de la réunion, Charles donnait des marques évidentes de son intention de parler, et tout dans son air témoignait qu’il croyait avoir beaucoup de choses à dire. Il toussa, passa la main dans ses cheveux, releva la tête avec assurance et, sans s’occuper du sourire qui courait sur les lèvres de ses camarades, il dit d’un ton un peu déclamatoire :

« Je suis loin de vouloir contredire absolument qu’une faute puisse entrainer un malheur. Cela arrive et doit arriver. Ce que je contredis, c’est que le malheur soit la punition du coupable, et le bonheur la récompense de l’innocent. L’histoire tout entière me sert de preuve. Quelle est la victime de l’ambition des rois et des conquérants ? C’est le peuple. — Qui voit-on jouir des biens, du pouvoir, des avantages matériels de ce monde ? Ce sont Îles tyrans, les fourbes, les assassins, les plats courtisans. — Quels sont ceux qui meurent dans les tourments, qui sont persécutés ?… Ce sont, trop souvent, les grands caractères qu’indignent l’injustice et la tyrannie.

« Ainsi meurt Germanicus, pendant que règne paisiblement le cruel Tibère. L’oisif et léger Charles VIT est remis en possession du trône de ses pères, et Jeanne d’Arc monte sur le bûcher. La douce Jeanne