Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/229

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Gray cède sa tête au bourreau, et l’altière Élisabeth règne sans obstacle. Louis XI meurt dans son lit, et les jeunes de Nemours dans leur prison. La généreuse et vaillante Marguerite d’Anjou succombe dans sa lutte héroïque contre l’astucieux Édouard. Richard II règne couvert du sang des siens. On voit sous la rage de Montfort tout un peuple vaillant périr massacré, malgré la justice de sa cause. Alexandre VI meurt sur le trône pontifical souillé de ses crimes, tandis qu’Henri IV est assassiné par Ravaillac. Le cruel Henri VII, Marie la sanglante jouissent paisiblement du fruit de leurs crimes. Caton meurt tandis que César triomphe. Et Brutus et Cassius périssent misérablement, sous le règne paisible et honoré du sanguinaire Octave… »

À ce moment du discours de Charles, on vit Esnest tirer un crayon de sa poche et se mettre à écrire sur le fond de sa casquette, de Pair d’un sténographe affairé.

« Tu prends des notes ? demanda Victor d’un accent railleur.

— Chut ! » fit Mme Ledan.

Charles, imperturbable, continuait :

« Bélisaire mendie : Thémistocle meurt en exil ; Britannicus est immolé par Néron :  ; Cicéron est égorgé ; Sénèque s’ouvre les veines ; Calas expire sur la roue et Chénier sur l’échafaud ; Annibal ne peut sauver sa patrie malgré les prodiges de son génie ; Archimède périt sous l’épée d’un vil soldat ; Messène n’est sauvée ni par le patriotisme de ses habitants, ni par le dévouement d’Aristomène ; le noble Guatimozin expire dans les tortures aux pieds du cruel Cortez ; Vercingetorix expie dans les fers son héroïsme : Aristide et Cimon sont bannis. Sur ce point toutes les époques de l’histoire ne font que se répéter, et tandis qu’au xive siècle Étienne Marcel est victime de sa généreuse entreprise, on voit plus tard le duc d’Albe insulter impunément l’humanité tout aussi bien que l’avait fait Sylla seize siècles avant… »

Ernest, après avoir obtenu d’Amine deux épingles, se leva, s’approcha de l’arbre qui formait le point central et le toit du salon champêtre, y piqua le papier sur lequel il avait écrit et retourna doucement à sa place. Tout le monde alors put lire ces mots en grosses lettres :

Séance pédante et académique. Discours sur l’histoire universelle par M. Charles Moulin. Entrez, car on ne paye pas. Le bâillement ne saurait être interdit ; mais on fait appel aux bravos.

Les enfants se mirent à rire. Charles rougit, sans pourtant manquer d’achever sa phrase, et M. Ledan appela du geste son fils près de lui :

« Ce n’est pas dans l’arbre que tu as piqué cela, lui dit-il, mais dans le cœur de ton camarade. Et bien qu’il ne croie pas à cette loi, il voudra te le rendre et te fera souffrir à ton tour. Es-tu si sûr, quand tu prendras la parole, de n’ennuyer personne et d’être beaucoup plus agréable que lui ? Enfin, ne doit-il pas avoir la liberté d’exprimer sa pensée comme il l’entend ? »

Ernest rougit à son tour, alla détacher le papier et revint à sa place un peu confus. :

« En voilà peut-être assez, reprit Charles après une légère pause. Il faut cependant prouver ce qu’on avance. Je suis fâché que les vérités historiques paraissent ennuyeuses à certains esprits ; Mais, puisqu’il s’agit de morale, de morale humaine apparemment, je ne vois rien de plus concluant que l’histoire pour prouver que le bonheur ne suit pas la vertu, et que le crime n’entraine pas fatalement le malheur. Je souhaiterais qu’on pût prouver le contraire ; car, ainsi que dit Mme Ledan, la thèse est séduisante et, sinon vraie, dési-