Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/230

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rable. Malheureusement, les faits la contredisent. Il me serait facile de le prouver indéfiniment, je me contente de ces indications. Voilà mon avis. »

Il se tut, et, de son lit de douleur, Édouard fit entendre un dolent : dixit, qui fit sourire tout le monde.

« Très-bien, Charles, dit M. Ledan. Vous avez une opinion, et vous savez la raisonner et l’exposer. Je ne vous dissimulerai pas pourtant le défaut que vous signalent un peu durement vos camarades, c’est qu’il y a trop de lecture dans votre phrase, et même dans votre pensée ; mais je dois aussi représenter aux railleurs que jusqu’ici aucun d’eux n’a donné le bon exemple d’une diction élégante et simple. Si le ton de l’école doit être banni de Ja conversation, et même, autant que possible, du discours, il n’est pas plus beau, et certes il est plus facile de ne s’exprimer que par des phrases hachées, décousues et mal construites. S’exprimer comme on pense, et penser juste, voilà l’idéal. Une occasion se présente de vous y exercer, mes enfants, il faut en profiter ; mais vous avez besoin pour cela d’une indulgence réciproque.

— Oui, ça va être beau ! murmura Charles d’un air dédaigneux.

— Maintenant, qui répond à Charles ? » demanda Me Ledan.

Ce fut un silence général, Quelques-uns se grattèrent la tête, mais ne dirent mot davantage. L’orgueil du triomphe brilla dans les yeux de Charles, et un sourire moqueur crispa ses lèvres. Enfin, s’éleva, mais timidement, la voix d’Édouard :

« Oh ! il y a beaucoup à dire là-dessus.

— Fort bien, répondit Charles d’un ton persifleur. Alors, dites, maitre. »

Édouard fut embarrassé :

« J’aurais besoin, murmura-t-il, de réfléchir un peu. »

Charles fit entendre un ricanement sardonique, et M. Ledan allait prendre la parole, quand Amine s’écria tout à coup :

« Eh bien, moi, j’ai à dire ceci : qu’il est plus beau d’être Germanicus que Tibère, Jeanne d’Arc que Charles, et Morus qu’Henri VII Qui prouvé que ces tyrans ou ces égoïstes aient été heureux ? Moi, je ne le crois pas. D’abord, je ne voudrais pas leur ressembler. Et qui donc le voudrait ?

— À merveille, ma fille, dit Me Ledan.

— Cependant, objecta Charles, vous aurez assez de peine à faire admettre qu’il soit plus agréable d’être en prison que sur le trône et de mourir dans les tortures plutôt que de vivre dans les plaisirs.

— Jl n’est certes pas agréable, dit Amine, d’être en prison ; mais je ne sais pas du tout s’il est bien agréable d’être sur le trône. C’est une idée qu’on a sans savoir et qui peut bien être fausse. Ne sait-on pas d’ailleurs que l’habitude d’une chose en ôte le plaisir ? J’ai entendu parler de gens qui ont tout à souhait, comme on dit, et qui pourtant se trouvent malheureux.

— Sans doute, reprit Charles, vous croyez qu’on s’habitue aux tortures, et que Jeanne d’Arc jouit d’un extrême plaisir sur son bûcher ?

— Oh ! c’est horrible ! répondit Amine en frémissant. Pourtant ce ne fut qu’une heure, et toute la vie de Jeanne auparavant avait été si belle !… »

Et en disant ces paroles avec émotion, Amine eut une lueur dans les yeux, qui fit passer un frémissement dans tous les cœurs. Charles seul ne vit pas cela, et ne sentit rien, parce qu’il n’était occupé que de voir le défaut des idées qu’on lui présentait au lieu d’en examiner la valeur.

« Il n’en est pas moins vrai, reprit-il, que si vous pouvez me présenter le bûcher