Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/24

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lui couvrait le visage, et son premier coup d’œil était pour le nid… Et il voit avec joie que le nid est sauf encore, et que Victor n’est plus là, Mais voilà les amis d’Édouard, suivis du coupable, qui s’enfuit une seconde fois. Amine s’empresse près du blessé, l’examine, l’essuie, voit qu’en somme il ne s’agit que d’un œil poché, et d’un abondant saignement de nez, emmène Édouard près du bassin, et le lave avec son mouchoir, tandis qu’elle envoie Émile chercher une serviette, en ayant bien soin, la petite maman prudente, de lui recommander de ne rien dire à personne de ce qui vient d’arriver.

C’est fort bien ; mais Émile est indigné, et d’ardentes récriminations, des serments de vengeance s’épanchent des lèvres d’Édouard. Heureusement, ce n’est pas jour de classe ; c’est un jeudi ; on a le temps de la réflexion. Le pansement fait, les trois amis vont s’asseoir dans le bosquet au fond du jardin, et causent avec plus de calme.

Émile promet son alliance à Édouard. Désormais, ils seront deux.

« Oh ! il faudra veiller, va ! dit Édouard laisse faire ; il y reviendra. Mais alors… »

Et il va dérouler un plan de bataille, où la ruse, droit du plus faible, s’allie avec la valeur… Amine l’interrompt. Elle a réfléchi et penche pour la paix. Elle aime, il faut le dire, à faire la petite maman ; mais elle la fait très-bien, sagement, et avec plus de cœur que de prétention, il faut le dire aussi.

« Victor a eu grand tort, dit-elle, il a été méchant, brutal ; mais il a été bien fâché ensuite, Émile tu l’as vu, quand il nous a rencontrés, comme il était malheureux.

— Dame, il y avait bien de quoi. Il devait craindre d’être joliment puni, quand papa verra.

— Eh bien, moi, je crois, j’ai vu dans son air qu’il était surtout fâché d’avoir fait du mal à Édouard. Il ne s’occupait que de cela. « Venez ! venez vite ! disait-il ; oh mon Dieu, il saigne, il est tombé ! Quel malheur ! venez ! » moi si j’étais Édouard je n’en dirais rien.

— Oh bien, s’écrie Émile, à qui la punition du coupable semble nécessaire, par exemple ! en voilà une idée ! Non, ça n’est pas juste, Ça.

— Je ne le dénoncerai pas, dit Édouard, mais on verra fort bien que j’ai été battu, et je ne peux pas empêcher ça. »

À son ton, il était clair qu’il n’en avait point envie.

« On peut croire tout aussi bien que vous êtes tombé, observa Amine.

— Mais alors, reprit Édouard on me le demandera et je ne puis pourtant pas — il baissa la tête en rougissant — mentir en…

— Oh vous pensez bien Édouard que je ne vous conseille pas de mentir ; mais seulement de vous taire. Papa, en voyant que ce n’est pas grave n’en demandera pas si long, et, voyez-vous, Victor, qui au fond n’est pas méchant, sera bien plus fâché de ce qu’il a fait ; et je suis sûre, qu’il ne voudra plus toucher aux oiseaux ; comme cela la bataille sera finie, tandis qu’il y en aurait pour longtemps à vous faire du mal et de l’ennui. »

Devant ce bon conseil, les deux petits garçons, sans oser la contredire, restaient le front sombre, l’œil irrité, silencieux mais non convaincus. Leur esprit, lancé sur la pente de la bataille, regimbait aux appels de la clémence. Mais Amine développa quelque temps encore ces bonnes raisons, déploya une éloquence persuasive, et parvint enfin, grâce à l’influence qu’elle possédait sur les deux amis, à substituer au désir de vengeance qui les animait le sentiment bien plus noble de la générosité.