Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

difficile, Victor, que vous n’ayiez pas éprouvé à peu près autant de désagréments que vous en causiez. Ne nous dites-vous pas avoir été souvent grondé et souvent puni ?

— Oui, mais ça ne me corrigeait pas tout de suite.

— Là n’est pas la question. Dans ce conflit perpétuel entre vos parents et vous, jouissiez-vous d’une existence bien douce ?

— Oh non, du moins pas à la maison ; mais j’oubliais presque tout quand j’étais dehors.

— Et vous étiez tourmenté, chagriné à la maison, mal fréquemment avec vos parents. Ce n’est rien, cela ?

— Oh si, madame. Mais quand je pense à tout l’ennui que j’ai donné à ma pauvre maman, qui ne disait jamais celles de mes sottises dont elle était seule à s’apercevoir, je ne peux pas trouver que j’aie été puni autant que je l’aurais mérité. »

Là-dessus, Victor s’arrêta assez ému.

« Avec tout cela, dit M. Ledan, nous ne serrons guère notre sujet. Victor le traite cn l’air comme toute chose. Voyons, Victor, voulez-vous nous dire une histoire, n’inporte laquelle ? Si vous n’y voyez rien, peut-être y verrons-nous quelque chose. Sinon, nous passerons à une autre. Allons, frappez-vous le front. »

Victor obéit, et presque aussitôt, comme si le moyen eût réussi, il s’écria :

« Va pour celle-là ! »

Un murmure de satisfaction de l’auditoire lui répondit ; chacun fit silence et se renfonça dans son fauteuil, et Victor, avec d’autant plus de hâte et d’une voix d’autant plus retentissante qu’il avait à vaincre un reste d’émotion, commença :

« C’est arrivé l’année dernière, quand j’étais encore chez nous. Il faut vous dire que nous habitons hors de la ville, et que nous avons un jardin avec de grands arbres, et de chaque côté des voisins qui ont leur jardin comme nous. Vous savez que j’aime à grimper. Donc, un jour que j’allais avec mon goûter dans le jardin, je monte, pour le manger plus à l’aise, dans un grand pommier. Ce pommier dominait le jardin du voisin, très-bien, parce qu’il était près du mur, et je le vois qui sarclait…

— Pardon, Victor, interrompt M. Ledan. Qui est-ce qui sarclait ? le mur ? serait-il possible ?

— Ah ! monsieur, pouvez-vous me faire une pareille question ?

— Au nom du français, je le crois bien.

« J’aperçois donc notre voisin de gauche qui sarclait. C’était un gros homme, en chemise, tout rouge, et qui soufflait comme un phoque. Je le trouvai drôle, mais je ne le lui dis point ; seulement ma figure, sans doute, en disait quelque chose, quand, un noyau des cerises que je mangeais étant allé tomber près de lui, il leva la tête et m’aperçut. Je le vis devenir plus rouge.

— Qu’est-ce vous faites là, petit vaurien ? me dit-il.

« Était-ce assez malhonnête ? Je lui répondis fort irrité :

— Qu’est-ce que ça vous fait, à vous !

« Il reprit :

— Si vous n’étiez pas si mal élevé, vous sauriez qu’on ne vient pas regarder ce que font les gens chez eux.

« Je me mis à rire très-haut, non pas que j’en eusse envie, mais pour le vexer.

— Ah ! ah ! ah ! par exemple ! En voilà une bonne ! Et pourquoi alors, vous, est-ce que vous vous permettez de me regarder, quand je suis chez moi ?

« Il se mit à me dire alors d’autres injures et à me reprocher que j’avais jeté des pierres dans son jardin, l’autre jour. « Je ne dis pas qu’elles n’y étaient pas