Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/262

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tombées, parce que je m’amusais à en lancer quelquefois, en visant le tronc des arbres ; mais je ne l’avais pas fait exprès. Enfin le gros voisin, tout à fait en colère, me dit qu’il se plaindrait à mon papa, et que, s’il m’attrapait jamais, il me tirerait les oreilles… etc.

« Dam, moi aussi, j’étais en colère ; aussi, pour le vexer tant que je pouvais, je lui fis des pieds de nez, lui tirai la langue, et fis semblant de rire aux éclats. Mais j’étais furieux tout de même ; j’étais presque tremblant de rage, et quand on m’appela de la maison, je faillis, en descendant du pommier, dégringoler plus vite qu’il ne fallait. Je me rappelle que je fis un devoir détestable, ce jour-là ; car je ne pensais pas du tout à ce que je faisais : je ne pensais qu’au voisin, et à me venger de lui, et comment je m’y prendrais pour le vexer plus fort qu’il ne m’avait vexé lui-même. J’eus deux pensums.

— En vérité, dit Me Ledan, profitant d’une pause du conteur, voilà une affaire où il me semble qu’il n’y a rien eu de bon à gagner pour vous, Victor.

— Je n’y ai rien gagné du tout, madame, et j’y ai beaucoup perdu ; mais je ne l’ai pas lâchée pour cela. Enfin je raconte les choses comme elles sont.

« Le soir même, je remontai dans mon arbre pour observer l’ennemi. Tout ce que je savais du voisin, c’est qu’il était employé d’administration et qu’on le rencontrait chaque matin et chaque soir allant à la ville et venant, bien boutonné, droit et raide, ce grognon, de plus armé d’une grosse canne et suivi de son caniche. Ce soir-là, je vis se promener avec lui et son chien dans le jardin une grosse dame, qui devait être sa femme, et je reconnus encore deux autres habitants de la maison, une jeune bonne et un vieux chat. Qu’est-ce que j’allais pouvoir inventer contre ces gens-là ?

— Les deux bêtes, du moins, dit Ernest, n’y étaient pour rien, je pense ?

— Tu crois ça ? c’est ce qui te trompe. Le chien prit parti dans l’affaire très-ouvertement. Quand il me rencontrait, il aboyait avec fureur contre moi et cherchait à me mordre les talons. Même quand j’étais dans le pommier, ses aboiements signalaient ma présence. La conduite de ce chien n’était pas juste, puisque c’était son maître qui avait commencé. Et je dois dire, à ce sujet, qu’il assistait à notre premier entretien.

« Quant au chat, il avait un air de famille, et je vis tout de suite qu’il était contre moi. Il] prenait des allures de serpent en marchant sur notre mur, et me regardait avec des yeux démoniaques. Et ce qui prouve bien ses préventions, c’est que, une fois qu’il était là, comme je ramassai une pierre sans penser à mal, il se sauva. Je n’aime pas qu’on me calomnie. Bientôt je fus en butte, de sa part, à des actes inqualifiables. Il se rendait la nuit dans mon petit jardin, — il n’allait pas ailleurs, remarquez-le, je vous prie, — et là, grattant la terre et se roulant sur mes fleurs, il déposait à côté d’elles des choses qui ne sentaient pas bon. Non, sincèrement, tout ce monde-là fut très-mal pour moi, et j’avais le droit de les haïr.

— À part les méfaits du chat, qui n’y mettait peut-être pas la préméditation que vous supposez, observa M. Ledan, ne pensez-vous pas, Victor, qu’on vous eût laissé tranquille, si vous n’aviez pas renouvelé les hostilités ?

— Oh ! c’est probable, monsieur ; mais, voyez-vous, cela est bien difficile quand on craint d’avoir le dessous. Moi, je suis pour le combat ; je ne dis pas pour ça que j’ai eu raison. mais je continue :

« Le lendemain, je me levai dès cinq heures ; et, après avoir soigneusement recueilli dans notre jardin toutes les pierres