Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/265

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sur une branche, va tomber de l’autre côté du mur. Je ne pus retenir un cri de désespoir, et m’élançai dans le pommier pour suivre au moins des yeux mon cher ballon. Car j’y tenais plus qu’à toute autre chose. Il était superbe, plus gros que ma tête, et c’était mon oncle qui m’en avait fait cadeau huit jours avant. Il n’y avait qu’à le toucher seulement pour le voir bondir, rebondir, léger et fort, loin, si loin ! J’aurais donné ma tête pour ravoir mon ballon.

« Pendant que je grimpais dans le pommier, — si du moins, me disais-je, on ne l’avait pas vu ! S’ils pouvaient ne pas le voir !… Oh ! j’irai le chercher, le reprendre, à tout prix, n’importe comment… Je trouverai bien un moyen !

« Hélas ! le premier coup d’œil m’ôta toute espérance. La bonne, l’horrible petite bonne était là. Elle avait ramassé mon ballon, et elle le remettait en ce moment même, avec un sourire qui me parut infernal, à son maitre, toujours soufflant et suant, ratissant une de ses allées. Dès qu’il eut compris, il se mit à rire bruyamment. — Oh ! le vilain homme ! — Il le faisait exprès, et les éclats de rire venaient entre les branches de mon arbre me sangler comme des lanières. Il me prit une rage telle que je faillis m’aller jeter sur lui, et livrer combat pour ravoir mon ballon. Heureusement (car je lui aurais donné trop beau jeu) le mur était haut et le pommier trop distant pour que même un fou pût risquer ce saut périlleux. Mon odieux adversaire, après avoir bien ri, prit mon ballon et se mit à le faire sauter lui-même en avant bien soin de ne pas le lancer de mon côté. Et pendant cet exercice il regardait le pommier, devinant bien ma présence et ce que je devais souffrir. Et moi, malgré ma colère, tapi sous les branches, je ne bougeais pas, de peur d’être vu, et je m’épuisais à intimer par gestes le silence à mon camarade qui, l’imbécile, me criait d’en bas : Le vois-tu ?

« Tout à coup, ce fut une double exclamation du voisin et de la bonne. Mon ballon — il le lançait, le chinois ! si mal ! — était allé se porter à l’angle du toit, dans la gouttière. Je le trouvai très-spirituel de s’être ainsi échappé de leurs vilaines mains ! Ce me fut un soulagement de le voir au moins hors de leur portée.

« Ils étaient restés là tous deux, bouche béante, le regardant et se demandant évidemment comment ils feraient pour le reprendre. Il n’était pas facile de le faire tomber en le poussant d’un bâton ; car il était fort loin de la lucarne, tout proche de la tête d’un jeune sapin qui débordait le toit d’environ deux mètres. Ce n’était pas eux qui pouvaient monter dans le sapin. Mais moi, j’étais maintenant tout plein d’espoir.

« Tandis qu’ils se consultaient, que la dame venait prendre sa part de l’événement, et qu’ils me faisaient, avec leurs ricanements et leurs gesticulations, l’effet de sauvages autour d’un trophée de guerre, je me faufilai par terre, doucement, et j’entrainai mon camarade à l’autre bout du jardin. Il n’aurait pas mieux demandé que de m’aider à ravoir mon ballon ; mais il était assez maladroit, je préférai agir seul.

« Le soir, bien entendu, je n’avais pas dit un mot de la perte de mon ballon à mes parents, que mes querelles avec le voisin ennuyaient beaucoup. Le soir, j’eus l’air de m’endormir dans le fauteuil de papa, et maman me dit : — Si tu t’endors, va te coucher.

« Je ne me le fis pas dire deux fois, et après avoir souhaité le bonsoir à tout le monde je montai, je fis un peu de bruit dans ma chambre comme si je me couchais, puis j’éteignis la lumière et j’ouvris ma fenêtre doucement.