Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/264

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une image bien funèbre, un bien grand remords.

Oh !… c’est vrai ! Je n’y avais pas pensé…

« Ce jour-là encore il m’avait accablé d’injures, et j’éprouvais cette crainte d’être en reste avec lui, qui me piquait d’un sot point d’honneur et faisait germer pour la vengeance toutes les idées qui ne ger- maient plus dans mes compositions. Je lan- çai des pois fulminants, dont quelques-uns allèrent tomber jusque dans l’espace sablé qui s’étendait devant la maison ; puis je restai aux aguets. La porte s’ouvrit, et la dame s’avança’majestueusement vers ses pots de fleurs. Tout à coup je la vois tressaillir ; elle jette un cri et tend les bras comme si elle allait tomber. — C’est une horreur ! C’est abomi- nable !… Oh ! mais c’est une chose épou-- vantable que d’avoir de pareils petits monstres autour de soi ! Je ne puis plus y tenir ! J’en ferai une maladie ! « Et elle rentre précipitamment, en jetant les portes après elle. « D’autres fois, je lançais des boules de papier après lesquelles le caniche s’em- pressait de courir en grondant et qu’il portait à ses maîtres dans sa gueule. Et le papier déplié présentait des vers bur- lesques ou la caricature des deux époux. « J’enrôlai enfin dans ma querelle quel- ques-uns de mes camarades, et, le diman- che, nous organisames dans le pommier, à l’aide de nos voix, de deux casseroles et d’une vieille guitare, des concerts qui offensaient les oreilles du chat lui-même, qui y joignait des miaulements lamen- tables, tandis que le caniche en gémissait sur un ton aigre. Nos voisins alors, qui à cette heure se livraient généralement au charme de la promenade dans leur jardin, rentraient à la maison d’un pas emporté, fermaient portes et fenêtres, et on ne les voyait plus de tout le jour. RÉCRÉATION. « Je triomphais de tout ça ; mais je ne manquais pas moi aussi de désagréments, je l’avoue. Autant j’étais content quand je prenais l’avantage, autant je souffrais quand je recevais des mortifications à mon tour. J’en vins à être continuellement sur le qui-vive. Je ne sortais qu’armé d’un bâton ; souvent au moment où j’y pensais le moins, au détour de quelque ruelle, le caniche, dans l’âme duquel mon voisin avait réussi à faire passer toute sa haine, se jetait sur moi avec rage, en m’ébran- lant tous les nerfs de ses aboiements sou- dains. Et s’il restait à distance, grâce à mon bâton, il ne m’en poursuivait pas moins jusqu’à ce que je fusse rentré chez moi, au point que j’en étais venu à répu- gner à toute sortie, de peur de rencontrer le chien et le maître. « Quant à celui-ci, c’était encore plus grave. Sa rencontre était pour moi la me- nace d’un affront public. Il me signalait à tout le monde comme un monstre de per- versité, et, plus d’une fois, je le vis arrêter dans la rue des gens qu’il connaissait à peine, et me montrer à eux du doigt comme un malfaiteur. Ces choses-là, je l’avoue, ça me bouleversait de colère et me causait beaucoup d’ennui. D’autant mieux qu’on le croyait, je le voyais bien. Les autres voisins, quand je passais, me regardaient de leurs fenêtres en me lan- çant des regards hostiles ; j’entendais le nom de mauvais sujet et de petit drôle. Quand on n’a pas tous les torts pour- tant, c’est dur…. — En sorte que, interrompit M. Ledan, vous auriez été bien content que ce fût fini ? — Oh ! c’est vrai, mais plus j’avais de peine, plus je voulais me venger ; et c’était à continuer ainsi toujours de plus en plus fort. « Un dimanche que nous jouions au ballon, un camarade et moi, dans le jar- din, voilà que mon ballon, rebondissant Digitized by Google