Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/308

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« Le verveux m’échappe ; mais j’y replante le crochet, et je soulève de nouveau…

« Oh ! rage et malheur ! Ce n’est pas du poisson. Non, c’est une malice encore plus noire qu’à l’ordinaire : le verveux est accroché dans l’eau ! À quoi ? Qu’est-ce que ça peut être ? Je l’agite dans tous les sens ; je tire, je pousse, je secoue ; ça tient toujours. Bientôt j’ai les bras rompus, le crochet est devenu lourd à ne plus pouvoir le soulever ainsi, à bras tendus, et en même temps le sang me monte aux oreilles, et je pousse des exclamations d’impatience, d’indignation, enfin de fureur. Je crie : « Non ! c’est trop fort ! » ou bien « Oh ! à la fin, c’est trop bête ! Non, je n’en veux plus ! Eh bien, puisque c’est comme ça, je laisse tout là, oui, tant pis ! » Et mille autres imprécations, encore plus ronflantes.

« Pourtant, ni injures, ni cris de fureur, ni menaces, rien n’y fait. Le verveux reste accroché, sans doute à l’une des racines de l’arbre au pied duquel je l’avais jeté. Enfin, n’en pouvant plus, les bras incapables d’un nouvel effort, car la berge était haute, le crochet long, et j’y mettais par excitation beaucoup de force, quand il eût fallu surtout de l’adresse — je lâche le crochet, et me laisse tomber sur l’herbe en pleurant de rage. Et je me rappelle que, frappant la terre de mes poings, je disais des bêtises comme ça : « Oui, c’est fait exprès ; je le vois bien ! Et puisque c’est ainsi, je ne veux plus m’en mêler, c’est fini ! Non, je n’y toucherai plus à cette sale invention, à cette… je ne puis vraiment pas tout dire ; car la colère nous jette dans la grossièreté.

« Malgré ces beaux serments, je repris mon crochet un instant après. Non-seulement je voulais à toute force arriver à décrocher mon verveux ; mais n’ayant pas vu le fond, du côté du bout retenu dans l’eau, je me plaisais à espérer qu’il y avait quelques poissons peut-être. Je m’y acharnai donc de nouveau, en dépit de ma fatigue, et comme Île verveux tint bon, ma colère croissante à Ja fin devint de la frénésie, et tout criant, tout injuriant, tout hurlant, je me pris à tirer dessus comme un fou, luttant aveuglément, bestialement, contre l’obstacle brutal, m’épuisant dans ces efforts, mais trouvant dans l’excès de ma colère de nouvelles forces. Au fond, pourtant, je sentais que j’étais stupide, que j’étais méchant. Mais quoi, cela ne m’enrageait que plus fort. J’étais lancé hors de tout raison. Je voulais vaincre à tout prix l’odieux obstacle, triompher de lui, ou sinon, tout briser, tout perdre, tout saccager… Il me vint l’idée de mettre le feu à la rivière…

« Tout à coup j’entendis un craquement ; les mailles du verveux cédèrent sous le crochet, et je faillis tomber par terre. C’est-à-dire que je venais d’éventrer mon pauvre filet. J’en fus si irrité que je recommençai à tirer dessus avec une nouvelle furie. Dégagé sur un point, il tenait encore sur un autre, et, à en juger par la force de la résistance, il fallait que ce fût un des cercles qui fût engagé. Cependant, au lieu d’essayer de le dégager en dessous, je ne travaillais qu’à le rompre. Je savais que je brisais mon ouvrage, et j’en étais outré ; mais je ne l’en brisais qu’avec plus de rage. Enfin le cercle tout à coup éclate ; je tombe sur la berge les bras et les pieds en l’air, et mon crochet, passant par-dessus ma tête, va cabrioler dans le pré.

« De nouveau le verveux était retombé au fond de l’eau. Je me relève en hurlant, et, ramassant mon crochet, je ramène sur le bord mon malheureux filet en lambeaux. O méchanceté du sort ! Ne l’avais-je pas dit que c’était fait exprès ? Aux mailles déchiquettes du filet, des écailles brillaient. J’avais non-seulement détruit mon verveux, mais détruit ma pêche !…

« Alors ça n’eut plus de nom. Je me pris