Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aux cheveux ; je piétinai sur les restes de mon filet ; je le saisis à deux mains pour achever de le mettre en pièces… Enfin, d’un mouvement frénétique, je le ramasse, le roule et cours le lancer à l’eau… où du même élan je plonge avec lui !… »

Émile et Jules, qui s’amusaient fort de ce récit, pour le coup éclatèrent de rire, et tout le monde avec eux.

« Ma foi, reprit Ernest, si ce fut la justice des choses qui à ce moment me poussa un peu, elle fit bien ; car j’avais besoin d’une douche. Mais ce fut tout simplement la colère ; car elle nous rend incapables de calculer nos mouvements, et nous jette en tout dans l’extravagance. Je me rattrapai promptement ; la Loire n’est pas profonde à cet endroit, et je revins tout ruisselant et dégrisé à la maison, où il fallut bien avouer que j’étais tombé dans l’eau, la chose étant assez apparente ; mais on crut que c’était par maladresse, et je me gardai bien de dire comment c’était arrivé.

« Le lendemain matin, j’errais dans la cour, tout mécontent de n’avoir plus mon filet et d’être obligé de renoncer à la pêche, quand je vis venir à moi ma sœur, qui revenait de lever son filet et qui me dit avec joie : « Ernest, la mauvaise chance est passée. Vois ma belle pêche. » Et elle me montrait six jolies perches dans un panier.

« Hélas ! mon pauvre verveux à moi était mort ! Combien je regrettai de n’avoir pas été plus patient ! Il me fallut en refaire un autre, l’ouvrage d’un mois, et je vous demande si la bonne chance eut le temps de passer et si j’eus le temps de me maudire ? En y pensant ainsi, j’avais honte d’avoir été si bête, et je commençai dès lors à vouloir me corriger. »

On rit beaucoup de l’histoire d’Ernest, et ses auditeurs, quoique gentiment et sans malice, ne lui épargnèrent pas des plaisanteries, qu’il reçut avec bonne humeur.

« Pour moi, dit Mme Ledan, je n’éprouve pas le besoin de railler davantage Ernest, mais plutôt celui de le remercier pour s’être sacrifié de si bonne grâce au bien public et s’être si impitoyablement raillé lui-même.

— Et moi aussi ! » s’écria Amine.

Tout le monde avec elle, de bouche ou tacitement, acquiesça.

« Ernest nous en a promis un autre, dit Édouard.

— En voilà-t-il un paresseux qui prend ses aises ! répliqua Ernest.

— Ses aises ! Si tu racontais autant d’histoires que j’ai de douleurs ! »

Ernest se recueillit, fit entendre le hum de l’orateur qui veut éclaircir sa voix, et chacun fit silence, à l’exception d’Émile, qui s’écria :

« Je la sais bien, moi, celle qu’il va dire.

— Chut ! fit Mme Ledan. Tout le monde ne la sait pas. » Et Ernest commença :

« Vous connaissez nos voisins, les Tabourin, qui habitent depuis l’année dernière la ferme voisine, et leurs enfants, entre autres Paul ct Pierre. Je ne veux pas dire du mal d’eux ; mais dame ! on n’a guère de querelles avec les gens parfaits, et c’est pourquoi, dans mon histoire comme dans celle de Victor, il me faut accuser un peu les défauts des autres. Paul et Pierre donc sont taquins, pas très-divertissants, et collants, comme on dit, mot peu distingué, mais expressif. Comme beaucoup d’autres petits paysans, ils ignorent, — c’est leur droit d’ailleurs, — le savoir-vivre, et quand il leur plait de vous suivre, il ne vous lâchent pour aucune raison et vous Suivraient jusque dans votre chambre, si vous y cherchiez refuge contre eux. J’avais eu la chance de leur plaire ou peut-être de les étonner, ce qui n’est pas difficile, dans les premiers temps de notre voisinage, et ils ne me quittèrent plus. Nos enclos, comme vous le savez, se touchent, et le droit d’entrée ici existe partout pour