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LA JUSTICE DES CHOSES

LE SALON D’AMINE. — AMINE

« C’est bien au tour d’Amine, à présent !

— Allons, Amine, à toi !

— Amine, c’est à vous. »

Elle avait déjà pris la pose digne et modeste d’un orateur qui aborde un public, et, du ton simple qu’elle avait en parlant d’ordinaire, elle commença tout de suite :

« Pour moi, c’est une bonne action que je veux vous raconter, et vous ne croirez pas, je l’espère, que ce soit par amourpropre ; car nous nous connaissons bien ; vous savez mes défauts comme je sais Îles vôtres, et je déclare volontiers, aussi humblement que l’ont fait Ernest et Victor, que je trouverais plus à choisir dans le mal que dans le bien. Mais il me semble qu’on parle trop des punitions, ou du moins pas assez des récompenses. Est-ce que la peur peut rendre bon ? Non, certes. On voit assez qu’elle n’empêche pas même du tout d’être méchant. Nous ne sommes pas si poltrons que ça. Non, ce qui fait faire le mal, c’est surtout parce qu’on croit y trouver du plaisir ; et l’on brave fort bien pour cela les châtiments. De sorte que si l’on savait trouver plaisir à bien faire, on ferait bien. Oui, c’est le point. Et je crois vraiment que là-dessus on ne présente pas bien les choses aux enfants. Ainsi, je me rappelle toujours avoir entendu dire à un maître dans son école que le devoir était ennuyeux, et que le travail était une punition ! Comment veut-on que les enfants l’aiment ? Ils n’essayent pas même… Aussi ce monsieur a-t-il ajouté que tous ses écoliers étaient ânes… Je le crois bien !… »

Le public sourit. Amine fit une pause, et Édouard en profita pour dire :

« Quand tout le monde aura raconté son histoire, j’ai bien envie de lire une lettre de ma sœur.

— Fort bien, » répondit-on.

Ce fut convenu.

« C’est quand je suis allée à Saumur, il y a six mois. Et pour ceux qui ne le savent pas, il faut dire que nous avons à Saumur des parents : mon oncle, ma tante et deux petits cousins. J’étais donc allée, à la prière de ma tante, passer quinze jours avec eux. On me reçut très-bien ; Saumur est une jolie ville, et je ne m’ennuyai pas les premiers jours. Mais, presque tout de suite, je m’aperçus d’une chose qui me fit beaucoup de peine. Mon oncle et ma tante sont d’une grande sévérité pour leurs enfants, et surtout pour l’aîné, le pauvre Julien. If ne se passait pas de jour qu’il ne fût puni, et ma tante lui faisait devant moi des reproches si vifs et si humiliants que j’en étais moi-même toute honteuse. Après de telles scènes, j’espérais toujours que Julien devait être corrigé pour jamais, et c’était bien l’intention de ma tante évidemment ; pourtant il n’en était rien ; le lendemain, cela recommençait.

« Il faut dire que c’étaient des choses que pour moi je ne trouvais pas graves, des étourderies, des inadvertances : quelque-fois aussi, hélas ! des mensonges ; car Julien avait si peur !… Ce pauvre cousin me paraissait emporté par une légèreté naturelle ; ma tante prétendait au contraire qu’il le faisait exprès et ne voulait