Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/349

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pas se corriger ; mais moi je ne pouvais pas le croire.

« Une fois que nous étions seuls, je lui dis :

« Mon pauvre Julien, pourquoi ne veux-tu pas te corriger ? Il me semble que ça doit t’ennuyer tant d’être grondé comme ça tous les jours ?

« Bien sûr que ça m’ennuie, va, me répondit-il. Je suis bien malheureux !

« — Eh bien, alors, il ne faut plus mal faire.

« Je ne le fais pas exprès. »

« Il était certainement étourdi ; mais je crois aussi que c’était précisément la crainte et la gêne où on le tenait qui d’un côté le rendaient maladroit, et de l’autre paralysaient son intelligence et sa bonne volonté ; car ce n’est pas du tout un méchant enfant, et il était pour moi fort gentil.

« Nous parlions ainsi le jour d’un concert qui devait avoir lieu à Saumur et où nous devions assister, ma tante et moi. Je m’en faisais grande fête, car j’aime tant la musique ! Et pour tout Saumur, c’était un événement, on n’a pas souvent de concerts dans les petites villes ; il fallait se faire très-belle, et on venait d’apporter à ma tante une jolie robe neuve de soie grise, qui était là sur une chaise, étalée dans sa fraîcheur. Moi, tout en causant avec Julien, assise devant la cheminée, je faisais mon bouquet et celui de ma tante ; car le soir approchait.

« Tout à coup, Julien, en regardant la pendule, s’écrie : « Ah ! et mon devoir qui n’est pas fait ! Je m’en vas bien vite ! »

« Dans son empressement, au lieu de faire le tour, il passe entre moi et la robe, l’accroche, s’y embarrasse les pieds et tombe avec elle ; tout cela si malheureusement, que l’étoffe de soie, assez légère, s’engouffre dans la cheminée, et que, j’ai beau la retirer aussi promptement que possible, il s’y fait une large brûlure.

« Je regardais le pauvre Julien : il était blanc comme son col, et contemplait son méfait d’un air si navré, si terrifié, que le cœur me battait très-fort. Je lui dis :

« Va-t’en bien vite ! On croira que c’est moi ! »

« Il hésita un instant, mais pourtant il ne se le fit pas répéter, et s’enfuit d’un côté, comme sa mère entrait de l’autre. Je n’avais pas eu le temps de réfléchir. Me voyant si subitement en face de ma tante, et obligée de mentir pour sauver Julien, cela me causa beaucoup d’émotion.

« Ma tante fut tout de suite frappée de l’expression de mon visage. Puis, je tenais dans mes mains cette malheureuse robe. Ma tante s’approcha vivement, vit la brûlure, m’arracha la robe des mains et me dit d’un ton écrasant :

« Comment avez-vous fait cela ?

Mais… la chaise est tombée du côté de la cheminée, et… vous voyez…

La chaise est tombée toute seule, c’est évident ! »

« Elle me lança un regard terrible, et je vis qu’elle souffrait beaucoup en s’efforçant de se contenir, comme toutes les personnes colères. Elle ne me maltraita point comme elle eût fait de son fils ; mais elle me dit sèchement :

« Fort bien, vous pouvez cesser vos préparatifs. On ne va pas au concert avec une robe brûlée. »

« Puis, elle sortit brusquement en tirant la porte, et moi, je restai bien désolée ; bien désolée du chagrin de ma tante, mais aussi du mien, car je tenais tant à aller à ce concert ! Je m’en étais fait une si grande fête ! il devait y avoir de si beaux morceaux ! Oh ! j’aurais donné pour y aller, tout… oui, jusqu’au pauvre Julien ! Si j’avais eu un bon mouvement l’instant d’avant, j’en avais maintenant un bien mauvais… je crois que je regrettais d’avoir