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Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/351

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« Oh ! ma cousine, je suis sûr que tu es bien fâchée de ne pas aller au concert ! Ça me fait tant de peine que tu sois grondée pour moi ! Laisse-moi le dire à papa ? »

« Mais il n’était pas difficile de voir combien cet aveu lui aurait coûté. Un jour de repos était si bon pour ce pauvre enfant puni tous les jours ! Et puis, il n’aimait guère la musique, lui, Julien ; et il n’avait pas même regardé ma jolie robe rose. Il savait bien qu’après tout, moi, je n’aurais ni pensum, ni pain sec, ni prison, et je devais lui sembler, à lui pauvret, une si forte puissance ! Et malgré toutes ces facilités que j’avais de le protéger, il était si reconnaissant ! il m’aimait si bien de tout son cœur.

« Tous les bons sentiments revinrent en moi. Je me trouvai heureuse d’avoir pu épargner une grosse peine à ce pauvre enfant, et quand il m’eut dit :

« Oh ! vois-tu, j’en aurais eu pour toute la semaine, de cette affaire-là, sans compter qu’on me l’aurait toujours reprochée.

« — Alors, je ne regretterai plus le concert.

« — Quand tu seras partie, me dit-il encore, toi, on ne t’en parlera plus. »

« Et puis, après avoir dit cela, sa tête se pencha sur mon épaule et sa voix s’altéra en répétant :

« On ! quand tu seras partie ! »

« Pauvre Julien ! Je sentis à ce moment que, si la musique est une grande et belle chose, l’amitié est plus grande et plus belle encore.

« Nous passâmes ensemble, lui et moi, une grande partie de la soirée, et ce souvenir m’est plus doux que n’eût été celui du concert. Nous causâmes ; je lui donnai des conseils qu’il promit de suivre. Enfin, je fis avec lui la petite maman, comme vous dites vous autres, avec vos airs malins ; mais Julien, qui n’est pas gâté, trouvait cela bon, il ne s’en moquait pas.

— Si nous nous en moquons quelquefois, dit un des auditeurs, cela n’empêche pas que nous le trouvons bon, Amine.

— Bien sûr ! »

Telles furent les interruptions du public. Amine y répondit par un petit signe, et conclut en ces termes :

« Eh bien, je vous assure que je me couchai ce soir-là le cœur plus heureux qu’au sortir d’une fête. Il me sembla… c’est difficile à dire… qu’avant de m’endormir tout à fait je faisais l’essai de deux vies : je voyais l’une toute composée d’une suite de fêtes : bals, concerts, spectacles, etc., et c’était bien agréable ; mais ce n’était que cela, car c’était accompagné d’une impression de sécheresse et de lassitude ; et puis l’autre, moins brillante, une vie de bonnes actions, et très-simple ; mais de toutes ces actions naissaient de bons amis et de bonnes pensées. J’éprouvais au cœur un sentiment si doux et si délicieux ! Un plaisir est bien amusant, mais il ne dure pas longtemps ; au lieu que le souvenir d’une bonne action est toujours le même. Alors je me dis : Je veux toujours être bonne, faire beaucoup de bien. Et le cœur me battit d’enthousiasme et je m’endormis très-heureuse.

« Seulement, ce n’est pas toujours possible de bonnes actions qui fassent du bien aux autres, ou du plaisir. On serait trop heureux, Il faut se contenter le plus souvent de n’en pas faire de mauvaises, et de remplir seulement son devoir. Et c’est là peut-être le plus difficile. Car, de faire du bien, c’est tout simplement du bonheur. »

Ce fut avec des voix douces et d’un air touché qu’on remercia Amine de son histoire. Émile même s’essuya un peu les veux. Qu’avait-il donc à être si agité, ce brave Émile ?

Lucie B.

La suite prochainement.