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et déjà par de certaines oscillations, il s’y creusait des failles qui devaient en compromettre la solidité. Cependant, au- cun éboulement ne se produisit. La masse entière résista, et vers la fin de la nuit, par un de ces phénomènes fré- quents dans les contrées arctiques, la vio- lence de la tourmente s’étant épuisée sa- bitement sous l’influence d’un froid assez rigoureux, le calme de l’atmosphère se refit avec les premières lueurs du jour. JULES VERNE. La suite prochainement.



LA JUSTICE DES CHOSES

LE SALON D’AMINE. JULES

C’était maintenant au petit Jules. Et il le savait bien. Car il était rouge comme une cerise, et paraissait très-mal à l’aise sur son fauteuil. 11 toussa très-fort, se moucha, recommença de tousser et se moucha de nouveau.

« Ah çà, te faut-il plusieurs verres d’eau sucrée ? demanda Charles.

- Allons, Jules, faites comme les autres, tout bonnement, dit Mme Ledan.

— C’est que, madame, je n’ai pas du tout l’habitude de raconter des histoires, répondit Jules, dont le front commençait à se mouiller.

— Les autres non plus, cher enfant ; et cependant, vous le voyez, ils ont pu le faire. Allons. Du courage !

— Quand j’étais très-petit, commença Jules, en baissant la tête, j’étais… très-timide et… c’est très-pénible… je n’osais jamais rien dire, et puis, j’avais peur de tout… Maman disait que c’était la faute de ma nourrice (car maman n’avait pas pu me nourrir elle-même…) qui m’avait raconté toutes sortes de contes absurdes et qui me menaçait toujours, quand je criais, d’un ramoneur qui allait descendre par la cheminée, avec un grand sac, pour m’emporter… Mon papa…

— Qu’est-ce qu’il marmotte là, tout seul dans sa cravate ? s’écrièrent tout à coup Charles et Victor, s’arrachant à une conversation très-animée avec Edmond et Amine.

— Mais, si vous faisiez silence, vous pourriez entendre, dit Mme Ledan, qui peut-être avait voulu laisser l’orateur s’habituer au son de sa propre voix.

— Certainement !

— Certainement ! »

Et tout le monde se tut.

« Oh ! si vous faites silence comme cela, dit Jules, alors… » On éclata de rire.

« Eh bien, voilà qui est bon ! Tu veux bien nous raconter quelque chose ; mais à condition que nous ne t’écoutions pas.

— Tu vas recommencer.

— Jules, dit Mme Ledan, il faut vaincre cette fois votre timidité.

— Oh ! madamę, je suis déjà beaucoup moins timide.

— Qu’est-ce que c’était alors ?

— Est-ce que la timidité est un mal ? demanda Charles.

— Adressez à Jules cette question. Qu’en pensez-vous, Jules ?

— Madame, cela fait beaucoup souffrir.

— Vous voyez. C’est donc un fâcheux défaut.

— Au moins, ne fait-il pas de mal aux autres.

— Je vous demande pardon : il prive la famille et la société des dons qu’une heureuse et pleine expansion répand autour d’elle. Si les uns gardent leur part tout en prenant celle des autres, ils lèsent la communauté. »