Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/372

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Le petit Jules (il avait onze ans, comme Edmond, mais ne paraissait guère en avoir que neuf) le petit Jules réfléchit ; et trouvant sans doute cela juste, il partit tout à coup, de l’air de bravoure désespérée dont un poltron échauffé marche à l’ennemi.

« Comme je l’ai déjà dit, mais vous ne l’avez pas entendu, j’avais peur d’un rien. Je n’osais pas aller seul dès qu’il faisait sombre, même dañs la maison, et je me rappelle qu’il me fallait le petit doigt de ma bonne pour traverser le corridor qui séparait la cuisine du salon. Si je rencontrais des ramoneurs dans la rue, je me cachais dans les bras de ma mère, ou je prenais la fuite en criant…

Mais tout cela, était quand je n’avais que quatre à six ans, » fit remarquer Jules, répondant à des rires de ses camarades, qui avaient amené sur son visage une nouvelle et plus vive rougeur.

Un regard de Mme Ledan fit sentir aux rieurs combien ils étaient peu fraternels, et ils se turent. Heureusement, Jules étant lancé, ne s’arrétait plus ; il continua :

« J’avais surtout peur du tonnerre. C’était peut-être plus. excusable, mais ma peur était tout à fait extravagante. Quand il faisait de l’orage, une angoisse terrible s’emparait de moi. Je me cachais dans tous les coins ; j’aurais voulu cesser de voir et d’entendre. Et cependant, malgré moi, je regardais, et quand la lueur de l’éclair avait brillé, je me jetais à terre, terrifié ! car je me croyais en danger d’être foudroyé, jusqu’à ce que les derniers roulements du coup de tonnerre eussent cessé.

J’ai pensé depuis qu’on devrait bien apprendre tout de suite aux enfants à connaître la raison des choses qui les entourent. On me faisait réciter la mort de Caton, et on me disait : « Tu vois : Caton avait du courage. » « Qu’est-ce que ça me faisait ! moi je n’en avais pas ; et j’aurais bien pu réciter

cela cent fois, que ça ne m’aurait pas fait comprendre.qu’on pt vouloir s’ouvrir les entrailles ni consentir à être foudroyé.

Un jour que j’étais à étudier tout seul dans le cabinet de papa, le temps devient tout à coup très-sombre ; un éclair brille, et un coup de tonnerre, très-fort, pour un commencement d’orage, retentit. Je demeurai un instant comme pétrifié ; puis, laissant là mon livre, je me mis à courir vers la salle à manger, où ma mère était occupée à arranger du linge, en compagnie de deux ouvrières. Fou de terreur, je me précipitai vers ma mère, et m’enfouis sous les plis de la toile, qui de ses genoux tombait sur le plancher.

— Mon Dieu ! s’écrièrent les ouvrières, est-il possible de voir un garçon poltron comme ça ! Et elles riaient de moi. Mais je n’y faisais pas attention, les doigts dans mes oreilles, la tête appuyée contre les genoux de ma mère, je laissais dire, espérant que, sous ma toile, la foudre ne me découvrirait pas.

J’étais là depuis quelques instants et l’orage était dans toute sa force, quand j’entendis la voix de mon père, qui demandait :

— Où donc est Jules ?

Ma mère, en haussant-les épaules, indiqua du geste ma retraite.

— C’est pourtant trop fort ! s’écria mon père, il faut que cela finisse. Jules, viens ici !

Mais je ne bougeai point, et, quand mon père voulut me tirer de force de ma cachette, je jetai des cris perçants. Les ouvrières se moquaient de moi de plus belle. A la fin cependant, cela me parut très-pénible, et je me sentis tout à fait humilié, quand mon père, me repoussant avec un mouvement de dédain, s’écria :

— Allons ! soit ; on ne raisonne pas avec les lèvres. Il n’est pas de la race des hommes celui-là ! »