Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/64

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se trouverait toute seule désormais ; et elle s’ennuierait ; et ce serait bien fait !

« C’est entendu, résuma le grand Victor, c’est une chose jurée. Et n’allez pas, vous autres, continua-t-il, en s’adressant aux petits, fondre devant ses chatteries. Il faut sentir les injures et montrer qu’on a du cœur. »

Tous promirent ; car tous étaient vivement blessés, jusqu’au fidèle Émile lui-même qui n’était pas le moins animé, parce qu’il avait le cœur plus gros que les autres. Édouard aussi avait du chagrin de la conduite d’Amine, et ce chagrin, comme il arrive trop souvent, il désirait le rendre à qui de droit. Et cependant il se disait : « C’est dommage. Moi qui croyais qu’Amine avait si bon cœur ! »

Les Angevines partirent au bout de huit jours, et leur départ ne parut pas chagriner Amine ; car, après s’être donnée à ces nouvelles relations avec l’enthousiasme qu’éprouve la jeunesse pour tout ce qui est nouveau, elle avait bien fini par s’apercevoir qu’en effet ces demoiselles manquaient un peu trop de cette douce et bonne simplicité à laquelle son éducation l’avait habituée, et qu’elle aimait. Après cette excursion dans le monde, elle n’était pas fâchée du tout de reprendre ses habitudes et de retrouver son jardin, ses poulets et ses amis.

Elle croyait, apparemment, que les amis se laissent quitter et reprendre comme cela, sans rancune. On lui fit voir le contraire.

Eh bien, où étaient-ils donc ? Autrefois elle les rencontrait partout, à chaque instant, ces compagnons, ces frères, ces camarades, qui souvent même, les deux plus petits surtout, suivaient ses pas. Et maintenant on eût dit qu’ils fuyaient devant elle. Allait-elle les rejoindre au jardin, ils s’en allaient dans la cour. Se mêlait-elle à leur groupe, ils s’évanouissaient l’un après l’autre et elle restait seule. Aux repas essayait-elle de lier conversation avec ses voisins, ils n’entendaient pas ou répondaient d’une façon polie, mais brève, et se tournaient pour causer de l’autre côté. Hors de la présence des parents, quand elle s’adressait à l’un d’eux, alors c’était avec un grand coup de chapeau ou, si le couvre-chef manquait, avec une humble révérence qu’on lui répondait.

« Bonjour Charles, comment allez-vous ce matin ?

— Mademoiselle est bien bonne.

— Oh ! Émile, comme tu as chaud ! Attends, je vais t’essuyer le front avec mon mouchoir.

— Mille pardons, mademoiselle, mon propre mouchoir fera l’affaire.

— Mais il n’est pas propre du tout ! il est tout noir de terre, et tu vas te barbouiller.

— Les mouchoirs de la marmaille sont comme ça, et la marmaille ne craint pas d’être barbouillée. »

Quelquefois aussi à l’approche d’Amine, ces messieurs se mettaient à causer de modes, rubans, chignons, etc., d’un air pénétré, respectueux. Si l’on se comptait pour jouer, et qu’Amine fût là, on ne la comptait point, bien qu’autrefois, dans la plupart des jeux, elle fit sa partie. On la mettait enfin complétement en dehors de la petite bande en tout ce qu’on pouvait, sauf pour les classes qui étaient communes.

Amine vit bien de quoi il s’agissait, et peut-être s’avoua-t-elle quelle avait mérité cette rancune ; mais elle pensa que ce serait l’affaire d’un jour ou deux, et, d’une attitude indifférente et fort digne, elle parut n’y pas prendre garde. Cependant les jours passèrent sans rien modifier. La petite conspiration, cimentée par un sentiment unanime, tenait bon, avec