Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/65

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d’autant moins d’effort qu’ils étaient six pour s’entr’aider et jouer, se suffisant parfaitement à eux-mêmes, tandis qu’Amine était seule. Elle essaya de vaincre les forces de l’ennemi en les divisant, et tout d’abord s’en prit à son frère Émile ; mais Émile, précisément parce qu’il avait été le plus attaché, avait été froissé le plus profondément. Il tint bon, — non sans effort, — mais Amine ne s’en rendit pas compte. Dépitée, chagrine, elle prit de l’aigreur, et répondit par des attaques si directes aux politesses affectées de ses adversaires. C’était les avertir de leur succès et leur donner beau jeu. Ils redoublèrent de courtoisie ironique. Amine s’emporta, dit des choses blessantes, et, tout en colère, et toute malheureuse, s’en alla pleurer dans son jardin.

Édouard n’y put tenir. Jusque-là, emporté par le goût de la bataille, et disons plus, par l’amour de la vengeance, il avait joué son rôle sans peine. Oui, car il tenait à montrer à Amine qu’elle avait eu tort de rejeter ces bons petits frères qui l’aimaient et avec lesquels elle vivait, auparavant, en si bonne intelligence ; mais, quand la chose s’envenima jusqu’à l’échange de paroles amères, quand le jeu devint cruel, et que seule contre tous, et vaincue, Amine pleura, Édouard se souvint combien elle avait été bonne pour lui, quand lui aussi pleurait, et il courut s’asseoir auprès d’elle, précisément dans un de ces fauteuils de mousse qu’ils avaient construits ensemble par ces belles matinées au soleil levant.

Amine, irritée, fit d’abord semblant de ne pas voir Édouard. Et puis, quand il lui remit sa serpette qu’elle avait laissé tomber :

« Oh ! comment, lui dit-elle, monsieur Édouard, vous allez vous brouiller avec vos chers camarades si vous restez près de moi.

— Oh ! je ne crois pas. Et puis, d’ailleurs…

— Mais si, je vous assure, puisque je suis une pestiférée, une excommuniée, à ce qu’il paraît ? Eh ! que voulez-vous ? Peut-être m’en consolerai-je ? Après tout, peut-être ces messieurs avaient-ils autant besoin de moi que je puis avoir besoin de ces messieurs. Mais on ne me trouvera plus. Désormais vous vous passerez de moi dans vos embarras aussi bien que dans vos jeux… Moi, d’abord, j’ai un chat très-aimable, Pouf. Pouf, lui, a un excellent caractère, Je jouerai avec lui, et ce sera bien plus gentil. Ensuite j’ai mes poulets ; et puis je veux élever cet été de petits perdreaux. On m’apporte toujours à la saison des foins, tant d’œufs trouvés dans les prés… Enfin mon jardin… Oh ! comme je vais m’amuser toute seule ! Par exemple je vous défends de rien toucher de ce qui est à moi… »

Édouard se taisait. Il trouvait Amine bien peu aimable en ce moment, et ne savait plus comment arranger les choses. Elle reprit :

« Je vous dis, Édouard, que vous allez vous brouiller avec les autres ; je vous le dis en amie.

— Mais, je veux, moi, être encore ami avec vous, dit-il.

— Quoi ! vrai ? répondit Amine ironiquement, vous êtes si bon que cela ! En tout cas, je ne m’en suis pas aperçue depuis quelques jours. Vous ne m’avez fait comme les autres que des sottises.

— Mais c’est que vous aussi, Amine, dit Édouard blessé, vous nous en avez fait une sottise, qui nous à fait beaucoup de peine. Et c’est pourquoi. Enfin, c’est vous qui avez commencé…

— Comment cela ? Qu’ai-je fait ?

— Oh ! vous le savez bien. Vous nous avez plantés là pour ces Angevines…

— Ah ! c’est ça ? Fort bien ! Alors, sans