Page:Magasin d education et de recreation - vol 16 - 1871-1872.djvu/88

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Édouard resta tout triste. Malgré la bonté de M. Ledan, il sentait que tout le monde devait lui en vouloir de l’injure qu’il avait faite à ce brave garçon ; il en était peiné lui-même, et enfin, l’amour-propre étant aussi de la partie, il ne se sentait pas peu mortifié de s’être montré en réalité moins bien élevé que ce paysan, qu’il avait voulu écraser de sa supériorité et dont il avait reçu une leçon bien méritée. Il passa le reste de la récréation tout seul, pendant que les autres groupés autour d’Antoine, lui montraient à l’envi les beautés de leurs jardins, et recevaient de petits services et de bons conseils.

Ce n’était pas Édouard qui en aurait eu le moins besoin. La grosse racine, par exemple, qu’il ne pouvait arracher, et qui s’entêtait à pousser des jets au milieu de son parterre, cette racine endiablée, dont un coup de serpe habile pouvait seul venir à bout !… Et ses rosiers qu’il ne savait pas tailler, et au sujet desquels on lui avait dit précisément : Antoine vous l’apprendra ! Et le petit berceau qu’il voulait construire, mais dont il ne pouvait assez solidement enfoncer les pieux ! Quel chagrin de ne pouvoir profiter de cette occasion ! Et Édouard sentait en ce moment que ce petit paysan dédaigné avait cependant une valeur et des connaissances que lui, Édouard, n’avait point.

Autant cette journée fut agréable et profitable aux autres enfants, autant elle fut triste et pleine de regret pour Édouard. Il en fut de même le lendemain ; car Antoine revint ce jour-là. Tandis qu’Édouard travaillait à son jardin, Antoine passa bien devant lui et jeta même un coup d’œil sur la petite plantation ; la douce physionomie du jeune paysan n’exprimait point de rancune. Mais Édouard, après l’avoir insulté, pouvait-il lui demander un service ? Oh ! non.

Il est vrai que s’il ne devait rien demander à Antoine, Édouard pouvait, devait lui faire des excuses. Oui, sans doute ; il y pensa ; mais ne le fit point. Et je crois que peu d’enfants le condamneront pour cela ; car on sait bien que c’est là l’effort qui coûte le plus et auquel s’oppose tout ce qu’il y a en nous de fausse honte et de vraie timidité. On voudrait que ce fût fait ; on ne sait comment s’y prendre. Les mots, le courage manquent, et la langue s’obstine à rester derrière les dents. Nous sommes encore ainsi faits que la présence des gens envers qui nous avons des torts nous est désagréable, quand même ces gens seraient les plus aimables du monde. Car c’est en eux que nous nous représentons notre faute, au lieu de la voir où elle est, c’est-à-dire en nous. Il y en a même, qui poussent la chose jusqu’à en vouloir énormément à ceux qu’ils ont offensés.

Sans aller jusque-là, certes, Édouard était impatient du départ d’Antoine et il fut enchanté de voir arriver la fin de ce second jour, qui était le dernier de la semaine de travail. Mais que devint-il en apprenant que les enfants avaient comploté avec Antoine d’aller passer le lendemain dimanche, à la ferme, chez les parents du jeune paysan, et que M. et Mme Ledan avaient ratifié ce projet qui enchantait tout le monde. Ce fut en lui criant joyeusement à demain ! qu’on se sépara d’Antoine. Édouard seul restait dans son coin, silencieux.

En toute autre circonstance, il eût été charmé de cette partie de plaisir. Mais il se demandait s’il pouvait être de la fête, et comment il serait reçu par cette famille qui, prévenue par Antoine de l’impertinence du petit Parisien, s’étonnerait à bon droit qu’il osât venir réclamer l’hospitalité de gens pour lesquels il affichait tant de dédain. Ces pensées le préoccupèrent toute la soirée, si bien qu’avant de s’aller