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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/146

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campés, en ce moment, si loin du monde habité, à plus de huit cents milles du Fort-Reliance, virent l’astre radieux raser les bords de l’horizon occidental, sans même y échancrer son disque flamboyant.

Le soleil de minuit brillait pour la première fois à leurs yeux.

JULES VERNE.

La suite prochainement.

(Reproduction et traduction interdites.)



LA JUSTICE DES CHOSES

LE SALON D’AMINE — ISOLINE — L’ÉGOÏSTE

« La personne dont je veux vous entretenir, et que j’ai connue intimement, était assez douée d’avantages sociaux et d’agréments extérieurs, pour qu’à première vue on l’estimât heureuse. C’était la fille d’une amie de ma mère ; elle se nommait Isoline Grandin. Née après plusieurs années d’une union jusque-là stérile, sa naissance avait été pour ses parents un bonheur inespéré, et ce fut avec passion qu’ils consacrèrent à leur fille tout ce que la richesse, et un milieu élégant, éclairé, artistique, peuvent accumuler autour d’un enfant de soins, de bien-être, de moyens de développement et aussi, malheureusement, de gâteries et d’adulations.

« Isoline, dès son premier jour, ent une cour composée d’abord de ses deux plus fidèles sujets : son père et sa mère ; puis des serviteurs de la maison, véritables esclaves de ses caprices, et enfin de tous les amis et connaissances qui, pour se rendre agréables, coopérèrent sans pitié à la méchante œuvre de faire de cette pauvre enfant une idole, qui bientôt se crut née uniquement pour être adorée. On ne l’abordait qu’avec des flatteries ; pas un nouveau jouet qui ne lui fût apporté dès qu’il paraissait ; pas une mode nouvelle qu’elle n’eût aussitôt ; pas une recherche de nourriture qui ne lui fût consacrée. On lui enleva enfin la possibilité de sentir un besoin, d’avoir un désir. Elle ne put connaître cette faculté principale de notre nature, l’aspiration, qu’en concevant des désirs extravagants, qui ne pouvaient être satisfaits, ou, s’ils l’étaient, ne pouvaient lui apporter une satisfaction véritable. Je crois qu’elle n’eut jamais d’appétit, tant on prit soin de prévenir sa faim, d’exciter sa gourmandise. Fatiguée de cadeaux, elle les recevait avec indifférence, et ne s’occupait de ses innombrables jouets que pour les détruire. De même, elle ne trouva d’autre moyen de rompre la monotonie de son éternelle élégance, que de gâter, salir et déchirer à plaisir ses vêtements.

« Enfin, ne pouvant avoir des besoins, elle eut des caprices ; faute de désirs, des fantaisies. Au lieu de rester dans la bonne et simple nature, elle vécut dans un milieu tout conventionnel, qu’elle-même en partie se créa. Quand je la connus, à six ans, déjà elle posait comme une petite femme et n’avait aucune des grâces et des spontanéités de l’enfance. Dès cette époque, on la faisait chanter, danser, on faisait cercle autour d’elle et on l’applaudissait. Ayant une bonne allemande, et une institutrice anglaise, elle bégayait ces deux langues et l’on criait au prodige.

« Isoline était intelligente et elle aurait