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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/147

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pu profiter pour devenir très-instruite, de tant de facilités qui lui étaient offertes. Mais son amour-propre surexcité ne lui laissa voir dans la science qu’un moyen de briller ; elle n’en connut point le charme et n’en comprit pas l’utilité. L’utile, ce mot, d’ailleurs, n’avait point pour elle de sens qui la concernât. Il était utile que pour lui rendre la vie facile et élégante, la grande majorité de l’espèce humaine travaillat ; mais quant à elle sa destinée était de jouir des biens de ce monde et d’en être l’ornement. Ajoutons que ceux qui l’entouraient n’avaient pas eux-mêmes d’autre idée et par conséquent ne lui avaient présenté que celle-là.

« Fille d’une amie de M Grandin, je me trouvais naturellement au nombre des amies d’Isoline, étant à peu près de son âge. Ma mère, elle, cependant, n’était pas riche ; elle travaillait pour élever ses enfants, et j’avais le bonheur de n’être ni adulée, ni blasée. Très-franche, très-indépendante de caractère, et très-familière avec Mme Grandin, qu’elle avait connue dans son enfance et à qui elle avait rendu de grands services, ma mère lui représentait souvent quel tort faisait à Isoline une pareille éducation, et elle n’avait consenti à donner des leçons à l’enfant gâtée qu’à la condition de pouvoir exiger d’elle application et assiduité. Elle avait réussi à prendre de l’ascendant sur son élève ; le piano était la seule étude où Isoline fit de vrais progrès ; aussi ma mère, qui s’attachait facilement aux enfants qu’elle enseignait, aimait-elle Isoline malgré ses travers et la plaignait-elle sincèrement. Sachant très-bien que des défauts portés à l’excès sont, pour quiconque a le sens droit, un exemple salutaire plutôt que dangereux, elle ne craignit point pour moi cette compagnie, et me conduisit chez Mme Grandin, quand je revins de la campagne, où j’avais passé deux ans.

« Ma première entrevue avec Isoline est restée empreinte dans mon souvenir. Tout d’abord, je fus éblouie de la parure de la petite personne, qui, vêtue de soie et de dentelle, ses cheveux blonds maintenus par un cordon de perles, semblait, au milieu de ses beaux jouets et du luxe qui l’entourait, une de ces enfants de roi, que les fées élèvent, dans les contes. Mais elle jeta sur moi un regard qui presque aussi- tôt détruisit le charme. J’étais habituée à ne rencontrer autour de moi que des yeux doux et limpides ; le regard de cette enfant, dédaigneux, sec, vacillant, me glaça. Elle, étonnée de ne pas me trouver prévenante et empressée comme tous ceux qui l’abordaient, après un long silence, pourtant se décida à me prévenir elle-même. Elle me fit parcourir le domaine de ses jouets, dont je fus émerveillée. Mes mains se tendaient avec désir vers chacune de ces belles ou charmantes choses pour en tirer le jeu, le plaisir qu’elles promettaient ; mais Isoline jouissait de mon admiration, comme d’un hommage, sans aucune envie de me faire jouir moi-même de ses richesses, et même, si j’allais jusqu’à toucher quelque objet, elle me l’ôtait impérieusement des mains.

« — Eh bien, pourquoi ne jouons-nous pas, lui dis-je, tout ça, c’est bien pour jouer ? »

« Elle eut un sourire de mépris.

Je n’aime pas à jouer, moi.

Mais moi cela m’amuserait, » lui dis-je.

« Elle ne répondit pas, et me tourna le dos.

« — Laisse-moi du moins, repris-je, endormir ce beau poupon. »

« Et je pris dans mes bras un joli bébé blanc et rose, qui semblait vivre, et qui lorsque j’appuyai ma main sur sa poitrine, se mit à me dire : Maman !

« Surprise, éperdue, car je n’avais