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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/254

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LA JUSTICE DES CHOSES

ÉDOUARD SUSCEPTIBLE

Les deux mois écoulés, en effet, Édouard revint chez ses parents ; c’’étaient les vacances. À mesure qu’il approchait de Paris, son émotion devenait plus grande. Il allait embrasser cette chère famille dont il était séparé depuis six mois et qu’il avait quittée pour des motifs si déplorables. Mais il revenait meilleur ; il le sentait bien. Ses parents eux-mêmes le savaient aussi, car ils avaient reçu d’excellents témoignages de la conduite d’Édouard ; de bonnes lettres avaient été échangées, et l’enfant exilé rentrait à la maison paternelle, sûr du plus tendre accueil.

De ce côté-là, donc, Édouard n’éprouvait, malgré tout, que des impressions douces et confiantes : mais il se demandait péniblement comment il allait être reçu par les amis, les connaissances qui, plus ou moins, s’étaient aperçus de ses fautes et les avaient sévèrement jugées. Ceux-là n’avaient pas le cœur d’une mère, d’un père ; ils ne savaient pas combien l’Édouard d’a-présent était différent de ce triste Édouard d’il y avait six mois, qui lui-même, dévoyé un instant par de mauvais conseils et par sa propre faiblesse, ressemblait si peu à l’ancien et véritable Édouard. Ils ne savaient pas ; on est très-sévère quand on ne sait pas. Cette préoccupation agitait péniblement Édouard et il sentait bien lourdement le poids que les fautes laissent après elles.

Mais bientôt il oublia tout dans les embrassements de ceux qu’il aimait, dans le bonheur de revoir cette mère chérie dont les doux yeux ne quittaient plus son fils ; ce bon père, moins occupé de l’éducation de ses enfants, parce que le travail prenait la plus grande partie de sa journée,

mais qui n’était pour cela ni moins tendre ni moins dévoué ; cette sœur qu’il revoyait grandie, embellie en si peu de temps, et qui, devenue plus affectueuse qu’auparavant, parce qu’elle avait senti dans l’absence combien c’était dur de ne plus avoir son petit frère, le comblait de caresses et d’attentions, et tournait sans cesse autour de lui, toute rayonnante de joie et de tendresse. Oui ! ce fut un bonheur ce retour, et Édouard commença à comprendre, ces jours-là, ce que les enfants ne comprennent que peu à peu dans la vie et ne savent bien que quand ils sont grands, — s’ils ont, bien entendu, le bonheur d’être aimants, et non égoïstes, — c’est que l’affection est la source des plus grandes joies qu’il soit donné à l’homme de goûter.

N’oublions pas, je vous prie, le chien Apis, qui parla ou plutôt hurla, plus haut que tout le monde, faillit renverser Édouard en lui sautant au cou, et qui, après l’avoir léché du menton jusqu’aux cheveux, partit comme un coup de vent, la gueule ouverte et la queue en l’air, pour courir follement par toute la maison, revenir à son jeune maitre, s’abattre à ses pieds, l’embrasser encore et fournir de nouveau une course joyeuse et échevelée.

Et non plus Minette, qui après un moment d’étonnement et d’hésitation, retrouva pour Édouard son ron-ron d’autrefois, et se frotta contre lui en lui caressant le menton avec sa queue. Il est vrai qu’ensuite, avec sa mollesse accoutumée, elle alla se coucher en boule sur une chaise, et s’endormit d’un sommeil aussi profond que si rien de nouveau ne s’était passé, ce qui mortifia un peu Édouard.