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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/259

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tôt, et après lui avoir fait boire un breuvage calmant, vint s’asseoir à son chevet. D’abord, elle ne fit que l’embrasser, tandis qu’il pleurait, puis, quand il fut plus calme :

« Cher enfant, lui dit-elle, il faut absolument vaincre cette faiblesse, qui te courbe sous un passé coupable, mais effacé. Ne sens-tu pas en toi-même que tu es désormais incapable des mêmes fautes, plus incapable qu’avant de les commettre ?

— Oh oui ! oui ! s’écrie Édouard en entourant de ses bras le cou de sa mère, oui, va, J’en suis sûr !…

— Eh bien donc, tu n’es plus le même. Tu as droit à ta propre estime, et dès lors à celle des autres.

— C’est que les autres, reprit Édouard en sanglotant, ne savent pas…, ils ne peuvent pas savoir combien je suis changé.

— Non, c’est pourquoi il faut le leur apprendre, et pour cela, ne pas courber la tête en coupable. Ce n’est pas, bien entendu, de la hardiesse que je te demande, mais de la dignité.

— Oui, mais quand je crois voir dans leurs yeux qu’ils me méprisent, alors — Édouard cacha son visage dans le sein de sa mère — alors, c’est plus fort que moi, je ne peux pas m’empêcher de rougir, parce que, quand même je sais bien que ce n’est pas vrai, moi…, ça n’empêche pas les autres de le penser… °

— C’est vrai, mais l’opinion des autres est-elle donc tout ? Ne s’agit-il donc pas avant toutes choses de ce que nous sommes, de ce que nous savons nous-mêmes que nous sommes ? N’est-ce donc rien que d’avoir pour soi la vérité ? Et s’humilier ainsi sous un jugement qu’on ne mérite pas, n’est-ce point compter sa conscience pour trop peu de chose ? — Mon Édouard penses-y bien ; cette impressionnabilité vis-à-vis de l’opinion vient du trop grand prix qu’on y attache, et surtout de ce qu’on est plus préoccupé de paraître que d’être, de ce qu’on tient plus à sa réputation qu’à sa vertu. Combien, dans le silence du cœur, se permet-on de faiblesses dont on ne pourrait supporter d’être soupçonné ? Ceci est la marque d’une faible moralité. Pour un véritable honnête homme, son premier juge c’est lui-même. C’est en lui, et par lui surtout qu’il veut être pur. Assurément, il est doux, il est nécessaire, d’être estimé, aimé, de ses amis d’abord, puis de tout le monde, s’il se peut. Mais, se faire le sujet de l’opinion quand elle est injuste, quand elle est égarée, pâlir ou rougir devant elle, et l’accepter pour juge de sa propre valeur, c’est une grande faiblesse. En outre, cela, mon enfant, c’est agir même contre son désir. Car le monde ne peut estimer ceux qui se font ses esclaves. Il sent très-bien que ce ne sont pas là de vraies forces, des consciences. Le moyen le plus sûr d’être respecté, c’est de commencer par se respecter soi-même. »

Édouard avait écouté sa mère avec attention, et pendant qu’elle parlait ainsi, peu à peu, ses yeux s’étaient séchés, et ses joues se coloraient. JI se leva enfin sur son séant, et, prenant dans ses deux mains les mains de sa mère :

« Eh bien, dit-il, avec résolution, je veux être fort, aussi bien qu’honnête. Oui, c’est assez de faiblesse. Tu verras, maman. »

Les yeux de la maman se mouillèrent et elle embrassa vivement son fils.

« Bien, lui dit-elle. Je suis heureuse de t’entendre parler ainsi. Puisque tu as Su concevoir cette force, tu la garderas, je l’espère ; elle te délivrera, en outre, de bien des tourments. Car la susceptibilité est une maladie qui ne fait que s’accroître quand on ne sait pas s’en guérir. Non-