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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/293

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belle pêche et elles étaient parfaites. Passons maintenant à la crême, et puis nous boirons en finissant un petit verre de Frontignan à la santé des pêcheurs. »

Tout le monde alors parla d’autre chose, et il n’y eut que le grand-père qui voulut absolument finir son calcul ; mais ses voisins seuls furent obligés d’en apprendre le résultat. Édouard cependant restait douloureusement affecté de ce qui avait eu lieu contre lui, et il voyait bien que sa mère aussi en était chagrine. Oh ! comment effacer ce cruel passé ? Comment persuader à tous ces gens prévenus qûe désormais leurs soupçons étaient injustes ? Édouard cût fait pour cela de grands efforts, de grands sacrifices. Oui, mais lesquels ? Il ne voyait pas ; il se sentait impuissant, et toute l’ardeur de son désir et de son courage lui retombait sur le cœur en amertume et en découragement,

Mais il se rappela la promesse qu’il s’était faite, qu’il avait faite à sa mère, de lutter dignement et de vaincre au moins en lui-même ; il se roidit contre sa tristesse, et résolut de prendre part aux jeux de ses camarade, comme si rien ne s’était passé et de tenir tête à toute attaque.

Après le déjeuner, on s’était répandu dans le jardin et dans la cour ; les uns s’emparant d’un jeu de tonneau, les autres se groupant autour de la balançoire, les autres s’en prenant au jeu de boules. De ces derniers était Édouard ainsi qu’Alfred B…, Ils jouèrent deux parties ; puis, il faisait si chaud !…

« Bah ! dit l’un d’eux, nous ferions mieux de nous promener. »

Cette proposition fut acceptée des uns, refusée par les autres. Édouard avait dit oui. Cependant, quand il se vit avec Alfred B… et seulement deux autres, à la petite porte du jardin, il fut fâché d’avoir pris ce parti, parce que la compagnie d’Alfred lui déplaisait.

« Eh bien ! ne viens-tu pas ? » lui dit le collégien en le voyant hésiter.

Ne voulant pas avoir l’air de bouder ce garçon pour des paroles qu’il valait mieux n’avoir pas comprises, Édouard le suivit.

L’enclos de la famille Albin se composait d’une vigne entourée de murs ct du pré où l’on avait pêché. Les jeunes promeneurs suivirent les allées de la vigne, tantôt en poursuivant, çà et là, un papillon, tantôt en grapillant quelque groseille oubliée dans les arbustes des plates-bandes, parfois en causant d’un air assez docte sur divers sujets. Arrivés le long du mur, on se mit à faire la chasse aux lézards gris, avec tant d’emportement, qu’en les voyant grimper sur le mur et disparaître de l’autre côté, Alfred B… imagina d’y grimper aussi « pour leur couper la retraite. » Ce moyen stratégique ne réussit pas, faute de combattants, car les lézards, épouvantés, ne se montrèrent plus ; mais il fournit un autre amusement, qui consistait à marcher debout sur le mur, les bras étendus en balancier, en récitant des vers latins ou burlesques, chose qu’inaugura le collégien, avec gloire, et non sans péril, car le mur, terminé en pointe, offrait à des semelles de souliers une surface extrêmement restreinte. L’un après l’autre, il va sans dire, chacun des compagnons du triomphateur voulut accomplir le même exploit. Un seul s’en tira heureusement, ce fut Édouard, et les autres durent piteusement renoncer à l’entreprise.

« À la bonne heure, dit le collégien, — qui, un peu plus âgé que les autres, s’était institué, de sa propre autorité, le chef de la petite bande, et qui décernait en cette qualité l’éloge ou le blâme, — à la bonne heure, dit-il à Édouard. Du moins, quoiqu’on puisse dire de toi, tu es un brave. Quant à Gustave… » — Et il allait poursuivre, d’un ton doctoral, ses jugements, quand il s’interrompit tout à coup lui-