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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/320

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— Il est sorti par la petite porte avec des autres. Alors, moi, j’ai voulu aller trouver Édouard, parce que je l’aime bien, et comme maman causait avec une autre dame, j’ai filé par la petite porte et j’ai couru dans la vigne. Et quand j’ai été au bout de l’allée, j’ai entendu des voix. Ils étaient le long du mur, et ils ne me voyaient pas, parce que la vigne était plus haute que moi ; mais je les voyais bien, moi, à travers les branches. C’étaient Alfred, ce grand-là, et puis… »

Fanfan s’arrêta ; car aux places qu’indiquait son petit doigt, il n’y avait plus personne. Les coupables, se voyant sur le point d’être dévoilés, écrasés de honte, s’étaient enfuis.

« Là, vous voyez ? reprit Fanfan, ils ont bien vu que j’allais dire leurs noms, les vilains, et ils se sont en allés. Eh bien, je les dirai tout de même : c’était Alfred, le grand, et puis Gustave, et puis Émile, et voilà ce qu’ils disaient :

« — Il ne revient pas, Édouard.

« — Va, il n’en a pas envie, disait Alfred. Je lui ai fait faire une belle culbute et lui ai donné son compte. A-t-on vu celui-là nous faire de la morale ! Ça lui apprendra.

Alors Émile a répondu :

« — Mais, s’il va le dire, nous serons joliment grondés.

« — Sois tranquille, va, il ne le dira pas. Je lui ai fait une belle peur. Et puis, quand mêmeille dirait, nous soutiendrons tous trois que ce n’est pas vrai, et comme il passe pour menteur, on ne le croira pas. »

« En même temps, ils mordaient dans les pêches, que le jus leur en coulait de la bouche, et ils s’étouffaient pour en avoir plus tôt fait. Et je les ai vues, les pêches ! joliment belles, oui ! grosses comme ça. »

Fanfan avait collé ses deux petits poings l’un contre l’autre ; mais voyant tout de suite que ce n’était pas assez gros, il porta vivement une de ses mains à sa tête en disant : « Non, comme ça ! » Il comprit pourtant que cette fois c’était un excès contraire, et ne trouvant pas d’objet de comparaison, reprit :

« Enfin, grosses ! grosses !… et rouges !… Alors, moi, je me suis dit : Ils ont fait du mal à Édouard. Et je me suis mis à courir pour l’aller dire à maman. Mais voilà que comme j’arrive à la porte, je vois maman qui me cherchait et puis Édouard. À présent, vous voyez bien que ce n’est pas lui, puisque ce sont les autres ! Et puisqu’il voulait les empêcher et qu’ils l’ont battu pour ça. »

Ayant terminé |à son discours, Fanfan, un peu ému, voulut rejoindre sa mère ; mais, avec sa vivacité ordinaire, il tourna trop court et allait tomber dans une crème, quand un des assistants l’enleva dans ses bras et le rendit à sa mère, qui, toute fière de cet orateur à ses débuts, le couvrit de baisers.

Des bravos éclatèrent.

« À la santé de Fanfan le justicier ! s’écria monsieur Albin, en levant son verre.

— À la santé d’Édouard ! digne et courageux ! » s’écria-t-0n aussi de toutes parts. Et alors, ce ne furent plus, vis-à-vis d’Édouard et de ses parents, que poignées de main des plus chaudes et félicitations des plus vives. M. Marcieux surtout voulut se faire l’ami d’Édouard, et lui dit, en lui serrant la main :

« Mon petit ami, vous êtes en bon train d’être un homme. Quand on revient comme vous de fautes que beaucoup ont commises sans en avoir tant de repentir, on est plus fort qu’avant la chute. »

Heureux d’avoir reconquis l’estime et de voir ses parents joyeux, Édouard cependant ne cessa point d’être modeste et indulgent. Comme on lui exprimait l’indignation qu’inspirait la conduite d’Alfred,