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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/319

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ceux qui se taisent en me laissant accuser. Ah ! je sais bien que vous n’êtes pas forcés de me croire ! Il faudrait des preuves. Oui ! Et malheureusement je n’en ai pas. Mais, pourtant, je vous en prie, dites-moi, est-ce qu’un coupable oserait parler ainsi ? Le croyez-vous ? Oh non ! alors, ce serait un monstre !… Voyez-vous, si j’’insiste, ce n’est pas pour moi, c’est pour ma mère, qui est là toute seule à me croire, parce qu’elle sait bien, elle ! »

Ici, la voix d’Édouard fléchit sous l’émotion, mais ce ne fut qu’un instant, et il reprit aussitôt :

« C’est aussi pour mon père, qui craint que je devienne un malhonnête homme, ct quiest si malheureux !…pour ma sœur, qui rougirait de son frère !… Oh ! je vous en prie ! croyez-moi ! Non, je n’oserais jamais me défendre ainsi si j’étais coupable ! Vous avez bien vu que suis timide, quand l’autre jour j’ai pleuré, parce qu’on avait l’air de se souvenir… Non ! non ! je ne suis plus menteur ! je suis maintenant cent fois plus incapable de mentir que quand ça m’est arrivé. Ce n’est pas moi qui ai pris les pêches ! Je vous le jure, croyez-moi !!! »

L’accent de cet enfant, son courage, l’expression de ses regards, toute s9n attitude, parlaient tellement pour lui qu’il y eut, de la part de presque tous ceux qui l’entendaient, un élan, et plusieurs grandes personnes et des enfants s’écrièrent :

« Non ! non, ce n’est pas lui !

— Non ! ce ne peut pas être lui ! »

Le père d’Édouard se rapprocha, et le regardant en face, lui dit :

« Édouard !…

— Mon père ! dit l’enfant, en soutenant noblement ce regard. Et il prit la main de son père, qui le saisit dans ses bras, et s’écria :

— Eh bien, je te crois ! »

Adrienne était venue se jeter au cou de son frère, et la maman pleurait de joie. M. Albin et M. Marcieux se hâtèrent d’assurer qu’ils ajoutaient pleine confiance aux déclarations d’Édouard, et Mme Albin, le prenant par la main et l’embrassant, le ramena à sa place, et s’efforça de rétablir le calme et de continuer le repas interrompu.

Cependant, l’opinion est chose si variable, et la confiance parfaite est si difficile, en l’absence de preuves — surtout en présence de preuves contraires — que, presque aussitôt après l’élan provoqué par les paroles d’Édouard, il y eut une sorte de réaction, une hésitation pénible, quelque chose qui se fit sentir, comme on sent un courant d’air froid par le fait d’une porte ouverte. La porte ouverte, c’était le doute qui revenait, et il pouvait donner passage à bien des pensées fâcheuses, qui ne feraient sans doute que s’accroitre à mesure que s’affaiblirait l’impression de la défense, et quand elle n’aurait plus occasion de se produire.

Mais alors une voix petite et perçante se fit entendre, et l’on vit Fanfan l’Éveillé, qui échappant à la surveillance de sa mère et à la pile de livres, dont il était parvenu à se faire un marchepied, montait sur la table en criant de toutes ses forces :

« Je le sais bien, moi, que ce n’est pas Édouard ! je l’ai entendu et je veux le dire. Non, ce n’est pas lui ! Je sais, je sais, je vous dis, écoutez-moi ! »

On s’empressa d’écouter, et Fanfan, reculant loin de sa mère qui voulait le remettre à sa place, arriva tout au milieu des plats, et, avec l’accent du témoin le plus convaincu, parla ainsi :

« Voilà, D’abord, j’ai dormi, parce qu’il faisait très-chaud. Et puis, quand je me suis réveillé, j’ai demandé où était Édouard, et maman m’a dit : — Je ne sais pas : il est quelque part à s’amuser. J’ai demandé encore, et la petite Louise, là-bas, m’a dit :