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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/354

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obligée de le défendre, car je partage aussi ce travers. L’amour de la propreté.

Elle fut interrompue par un brusque mouvement : d’Édouard. Un petit ramoneur qui descendait la rue, en frôlant le mur, venait de le toucher en passant. L’on eût diten vérité qu’Édouard voulait franchir la rue, tant le bond qu’il fit fut impétueux.

« Il t’a donc fait mal ? demanda la mère.

— Non, mais il est si malpropre ! »

Édouard n’eut pas plus tôt dit cela qu’il baissa le menton sur sa poitrine avec confusion ; et il ne trouva rien à répliquer lorsque sa maman lui fit simplement cette réponse :

« Mais, Édouard, ce n’est pas sa faute, à lui ! Il ne dépend pas de lui de n’avoir pas de suie à ses pauvres habits. »

Le lendemain, Édouard se hâta de porter son habit chez le dégraisseur et en attendant, il fut obligé de se priver, pendant plusieurs jours, des parties auxquelles on l’invitait. Malgré son dégoût pour le monde, Édouard fut très-mortifié de cette situation, et, comme on est rarement juste quand on a beaucoup de contrariété, il pensait tout bas que son papa aurait bien pu lui acheter un habit, et qu’il y avait une grande sévérité dans son refus.

Sur quoi les enfants basent-ils cette conviction que leurs papas doivent toujours avoir de l’argent ? On l’ignore. I] faut pourtant avouer que cela n’est pas mathématique, les riches, comme on sait, étant le petit nombre, et les pauvres le grand.

Une des raisons de cette erreur est assurément l’ignorance où sont les enfants de la difficulté qu’on a à gagner de l’argent. Ils ne connaissent pas le livre de comptes de la famille.

Eh bien, il faut croire que le père d’Édouard vit la pensée secrète de son fils et voulut combattre cette ignorance ; car, un matin, entrant dans la chambre d’Adrienne, où se trouvait aussi Édouard :

« Mes enfants, leur dit-il, vous voilà presque adolescents, du moins Adrienne. Vous commencez à savoir et à raisonner. Vous aimez à vous rendre compte des choses et vous connaissez votre intérêt. I] me semble enfin que vous êtes à l’âge où l’exercice de la responsabilité personnelle devient possible, et par conséquent nécessaire. Car c’est là le grand agent moralisateur. C’est lui qui corrige par le fait les écarts de l’imagination, en soumettant au contrôle de l’expérience les données reçues.

Jusqu’ici, vous avez tout reçu sans compter. Le moment est venu pour vous de savoir dépenser et d’apprendre à agir. Édouard, je suis certain que tu ménageras mieux tes vêtements quand tu en sauras le prix. Voici le premier trimestre de ta pension, et voici celui d’Adrienne. Ta sœur a deux ans de plus que toi, et connaît un peu mieux les choses ; je t’engage à prendre ses conseils. Il va sans dire que, si vous faites des bévues, vous en porterez la peine. On ne s’instruit bien qu’à ses dépens. »

Il posa en même temps sur la table deux rouleaux de pièces blanches. Adrienne fut très-joyeuse et remercia son papa. Édouard ne fut pas moins content, et tout le reste du jour ils ne parlèrent ensemble que de leurs emplettes futures, et dépensèrent tout d’abord effroyablement… en projets, Heureusement, ils se modérèrent l’un par l’autre, firent l’addition d’avance, et s’aperçurent promptement que le rôle actif a plus de difficultés et d’épreuves que n’en supposent le désir et la critique. Malgré cela, ils furent satisfaits de ce nouvel arrangement ; car c’est le propre de l’être humain d’aimer à connaître et agir par lui-même. Grâce à leur papa, ils s’essaye-