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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/353

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trop forte, je le reconnais ; mais après tout, je suis content de te voir tant de philosophie ; car, sérieusement, je ne puis pas t’acheter d’autre habit. Et dès lors, il est bien inutile de te faire des reproches, puisque c’est toi qui porteras la peine de ton peu de soin, »

Édouard, en regardant sa maman, vit pourtant qu’il ne serait pas le seul puni, et cela lui fit de la peine. Ensuite, il abaissa les yeux sur son habit, et, l’examinant avec attention, il s’aperçut qu’en effet il y avait beaucoup de taches, et qu’ainsi vêtu, lui Édouard, qui n’était pas du tout étranger au plaisir d’être bien vu, ni à la mortification de déplaire, il n’offrait pas précisément un objet agréable à la vue. Toutefois comme il était fort piqué, il ne voulut pas laisser voir sa contrariété, et suivit ses parents dans la maison où l’on se réunissait ce soir-là.

Édouard s’y trouva en compagnie d’enfants de son âge, qui avaient des habits plus ou moins beaux, mais tous d’une irréprochable propreté. Et il ne fut pas longtemps seul à remarquer la différence qui existait à ce sujet entre eux et lui. Quelques-uns de ses camarades le considérèrent d’un air moqueur et deux petites filles se mirent à chuchoter en le regardant. N’y en eut-il pas une, même, — oh la petite pie-grièche ! — qui alla faire part de ses observations à l’oreille de sa maman ! Édouard le devina à l’air scandalisé de mademoiselle et au regard que la maman dirigea sur lui, et il en fut plus certain encore, lorsque s’étant rapproché de cette dame, et se trouvant derrière elle, un moment après, il l’entendit adresser cette phrase à sa voisine :

« Il faut convenir qu’Édouard s’est amélioré à la campagne, sous beaucoup de rapports ; mais pourquoi faut-il qu’il y soit devenu si malpropre ? En vérité, si j’étais sa mère, ou je ne le mènerais pas ainsi dans le monde, ou je lui achèterais d’autres vêtements. »

Dès lors, Édouard n’eut plus de plaisir du tout dans cette soirée. On n’est à l’aise, en effet, et disposé à jouir des charmes de la société que lorsqu’on ne se sent l’objet d’aucune remarque fâcheuse. Maintenant, tous les regards qui se dirigeaient de son côté lui semblaient occupés surtout de son habit ; il cessa de parler, et presque de remuer, de peur d’attirer l’attention sur sa mise en l’attirant sur lui-même : il devint triste, ennuyé. Édouard, décidément, n’avait pas toute la philosophie dont son père avait bien voulu le féliciter.

Il fut donc très-content de partir. Dans la rue, il donnait le bras à sa maman, tandis que son père marchait devant, avec Adrienne ; on parla, naturellement, de la soirée. La maman y avait trouvé des gens très-aimables et s’était fort amusée ; très-différent fut l’avis d’Édouard, et il émit des jugements amers et sévères sur telles personnes en particulier, et sur le monde en général. Le monde lui paraissait une fort triste chose. C’était une réunion de gens vains et superficiels, qui ne fondaient leurs jugements que sur les dehors et leur estime que sur les apparences. Cela lui paraissait méprisable, et il n’était pas éloigné de rêver une vie solitaire, au sein de la famille, et où pénétreraient seuls quelques rares amis.

« D’où te vient cette humeur sauvage ? lui demanda sa maman ; et, quand elle eut deviné que c’était à l’état de son habit qu’Édouard devait cette misanthropie, elle l’en railla doucement.

— Le monde assurément a ses torts, lui dit-elle, et je ne serais pas fâchée de te voir entrer en guerre contre ses préjugés, ses vanités, son goût excessif du luxe : mais s’il s’agit de lui en vouloir parce qu’il n’aime pas les taches d’encre et condamne les habits malpropres, je suis