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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/372

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temps que désagréables à autrui. Par cette habitude de ne rien accepter sans le comprendre, de se soumettre à l’expérience, d’agir par lui-même autant que peut le faire un enfant, il avait acquis un exercice dé la réflexion et une sûreté de jugement que les adolescents n’ont pas d’ordinaire. Ce n’était point un génie, pas plus qu’un héros ; mais il possédait assez pour ne pas perdre et pour accroître au contraire, cette faculté, qui devrait par excellence être nommée faculté humaine, bien que très-peu d’hommes actuellement la possèdent : celle de porter sur les choses et sur soi-même le regard clair et sincère d’une intelligence qui n’a d’autre parti pris que la recherche du vrai. Édouard, assurément, n’était pas arrivé à tout bien voir et commettait encore plus d’une étourderie ; on n’est pas parfait à quatorze ans ; mais, sil s’apercevait lui-même de sa faute, il s’en reprenait de si bonne grâce et cherchait si vivement à la réparer qu’on ne pouvait l’en aimer moins. Quand la réprimande, au contraire, lui venait d’autrui, il contenait assez bien le mouvement d’humeur et de mortification qu’il éprouvait, et, s’il voyait son tort, disait simplement : « C’est vrai, j’en suis fâché. » Je ne vous affirmerai pas toutefois qu’il n’alléguât jamais pour se justifier des raisons peu justes en elles-mêmes ; mais alors, c’est qu’il se trompait de bonne foi. Cela est permis, dit-on, à tout le monde ; à plus forte raison à l’âge d’Édouard. En somme, il était sincère et de bonne volonté. Ce sont les qualités fondamentales, les bases morales essentielles.

Les défauts qui restaient à Édouard n’étaient donc plus que des erreurs, et non pas des habitudes, et, au lieu de tenir à les garder, comme tant d’enfants — et même de grandes personnes de notre connaissance — qui chérissent leurs défauts plus que tout au monde, plus que leurs parents, plus que leurs amis, plus que leur santé, leur intérêt, plus qu’eux-mêmes, qui se mettent en fureur, si l’on ose y toucher, et les défendent jusqu’à la mort, Édouard, lui, tenait à s’en défaire.

Il lui arriva quelquefois de rentrer dans ses anciens défauts, comme un limaçon dans sa coquille ; mais il se hâta d’en sortir, les connaissant assez pour n’en plus vouloir.

Il yen eut pourtant auxquels Édouard ne revint jamais, et il semblait ne les avoir connus que pour les détester davantage. On les devine, ceux-là.

Il arriva aussi qu’Édouard contractait des défauts nouveaux, dans des circonstances nouvelles, comme on prend de mauvais chemins dans un pays inconnu. Ce sont des excursions de ce genre qui peuvent seules nous intéresser, puisque les autres nous les avons déjà faites.

Avec de l’instruction et de la gaieté, quand on vit dans la compagnie de gens intelligents, il n’est pas difficile d’avoir de l’esprit. On en reconnut à Édouard pour quelques plaisanteries heureuses qu’il fit un soir, chez sa mère. On avait ri, On l’avait applaudi ; flatté de ce succès, et jaloux de le renouveler, il réussit de nouveau. Voilà notre garçon lancé, enchanté de posséder un talent qu’il ne croyait point avoir, chatouillé par le plaisir d’être aimable, et laissant aller sa langue un peu trop à l’aventure.

Tous les sujets ne prêtent pas également à faire de l’esprit. Pour ces heureuses rencontres de mots et d’idées qui font sourire et penser, il faut avoir réfléchi, comprendre, savoir, même savoir beaucoup ; car on ne peut bien saisir les rapports et les différences de choses inconnues. En philosophie, en morale, en histoire, en sciences naturelles, en connaissance du cœur humain, il n’est pas facile d’avoir de l’esprit, et un seul sujet s’y prête aisément,