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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/373

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c’est la critique. Les défauts ou les ridicules d’autrui sautent aux yeux ; beaucoup de gens même s’appliquent volontiers à en faire une étude ; puis, pour seconder le trait et le faire paraître plus ingénieux, on aura pour soi la malignité, le goût de rire aux dépens des autres, dont bien peu d’entre nous sont exempts. Pour toutes ces raisons un tel moyen devient fort tentant, pour peu qu’on soit arrivé à passer pour une personne d’esprit, et qu’on veuille soutenir ce rôle. La vanité, qui pousse toujours à de mauvaises choses, ici pousse à la méchanceté, et il est bien peu de gens, dits spirituels, qui ne soient moqueurs.

Édouard alla promptement donner sur cet écueil. Ce fut d’abord aux dépens de gens qu’il connaissait peu, et qui lui étaient indifférents ; il en vint ensuite à frapper sur des personnes plus intimes. Ce furent d’abord des plaisanteries inoffensives sur de légers ridicules ; puis cela devint plus grave, et sa raillerie s’attaqua bientôt aux caractères et aux intentions.

« Édouard, lui demanda sa mère quand elle s’aperçut de ce travers, quel sentiment éprouverais-tu pour une personne qui te tournerait en ridicule ?

— Dame, je ne l’aimerais pas du tout, répondit le moqueur, et, voyant bien à quoi tendait cette observation, il rougit un peu.

— Crois-tu que la justice des choses fasse une exception pour toi à ce sujet ? ou bien penses-tu qu’il vaille mieux être haï que d’être aimé ?

— Certainement non ; mais ces gens-là ne m’aiment pas, ils me sont indifférents,

— Alors, tu trouves avantageux de transformer un indifférent en ennemi ?

— Non, sans doute.

— Mon enfant, il y a là aussi un devoir de conscience. Faire de la peine à quel qu’un pour son plaisir à soi, c’est méchant. Plaisante sur les choses, mais non sur les personnes. ».

Édouard convint que sa maman avait raison, et promit de suivre son conseil ; mais, quand l’occasion vint le tenter, il se dit : « Oh ! pourvu que la plaisanterie soit légère, et n’attaque pas l’honneur des gens ! »

Il le voulait ainsi ; mais, tout défaut, tout vice, nous l’avons remarqué, est comme une pente : on y glisse. D’ailleurs, une moquerie qui nous semble légère paraît énorme à celui qui en est l’objet, et qui naturellement est plus susceptible que nous ne savons l’être pour lui.

Édouard se fit donc des ennemis. Et beaucoup de gens qui auraient voulu l’aimer éprouvèrent de l’éloignement pour lui en le voyant ainsi malin et agressif pour d’autres ; car cela n’indique point de bonté, et pour aimer les gens il faut les croire bons.

Même, il faillit arriver à Édouard une très-fâcheuse aventure. Il y avait dans leur société un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans, très-vain de sa figure, assez jolie, si occupé de sa mise qu’il en oubliait le soin de s’instruire et de travailler, et d’ailleurs peu intelligent. Un jour, on parlait de lui devant Édouard.

« Quel homme est-ce que ce jeune X… ? demanda quelqu’un.

— C’est l’homme de Platon, répondit Édouard, que l’on n’interrogeait point. »

En se rappelant que l’homme de Platon était un animal à deux pieds, sans plumes, on rit aux dépens du jeune X…, et le nom de l’homme de Platon lui devint une sorte de sobriquet. Il le sut, apprit de plus quel était l’auteur de cette critique un peu pédante, et sa colère contre Édouard fut si vive qu’il annonça hautement l’intention de lui frotter les oreilles la première fois qu’il le rencontrerait. Édouard fut très-inquiet de cette