Page:Magdeleine du Genestoux Le trésor de Mr. Toupie - 1924.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
CONCURRENTS OU MYSTIFICATEURS

« Il retourne au pays,… il en a assez.

— Mais les autres… les voyageurs, que sont-ils devenus ? Peut-être sont-ils tués… blessés au moins ? s’écria Charles avec effroi.

— C’est vrai ! Allons à leur recherche… Mais je ne pensais pas à eux en voyant ce drôle de cheval qui sait si bien son chemin. »

Ils recommencèrent à pédaler. Charles ne riait pas. Il regarda avec attention si les voyageurs se trouvaient sur la route, la nuit étant très sombre.

« Ohé ! Ohé ! entendirent-ils soudain. Ohé ! Ohé ! »

— Voilà ! Voilà ! Êtes-vous blessés ?

— Non… oui… à moitié. »

La voix était encore lointaine. Charles et Arthur pédalèrent avec énergie jusqu’à ce que leur lanterne éclairât tout à coup un homme qui agitait les bras.

Charles s’arrêta.

« Êtes-vous blessé ? Nous avons vu votre cheval…

— Oui, la vilaine bête ! s’écria le « précepteur », il a accroché la borne. mes élèves sont là : l’un a une jambe cassée, je crois, quant à l’autre…

— Il est évanoui, s’écria Arthur qui, à l’aide de sa lampe électrique, avait déjà examiné le lieu de l’accident.

— Mort ? dit avec effroi le précepteur.

— Mais non… mais non… »

Charles dirigea sa lampe sur le visage du jeune garçon qui gisait à terre, tandis que le « précepteur » saisissait sa main et se penchait pour voir s’il respirait encore. Il se redressa.

« Il n’est qu’évanoui… Comment faire ?

— Nous allons vous aider ! » dit Charles tout en regardant les voyageurs attentivement.

Le précepteur — ou du moins celui auquel il donnait ce titre — n’avait pas une figure sympathique. Il était brun, coiffé les cheveux en arrière, avec des traits réguliers, mais ses yeux se dérobaient lorsqu’on s’adressait à lui.

Il paraissait âgé d’environ trente-cinq ans ; les jeunes garçons qu’il accompagnait n’avaient pas plus de douze à treize ans. Celui dont la jambe, au dire du précepteur, était cassée, et qui était assis par terre, poussait des cris douloureux.

« Satané cheval ! Fichu pays ! murmurait le précepteur… Que faire dans cette nuit noire ?… Impossible d’aller chercher du secours… Maudite situation !

— Calmez-vous, nous allons nous rendre à Dol et vous envoyer une voiture, dit Arthur. Pour nous, à bicyclette, ce n’est rien. N’est-ce pas, Charles ?

— Mais oui, répondit Charles.

— Je vous suis très reconnaissant… Je voyage avec deux enfants qu’on m’a confiés, commença le précepteur. Je suis répétiteur dans un lycée de Paris, et, pendant les grandes vacances, j’accompagne d’habitude des jeunes gens qui voyagent pour leur instruction. Comme je voulais visiter le Mont Dol dès le lever du soleil, mes élèves et moi, nous avons eu l’idée de louer cette voiture et ce cheval, car je sais conduire… »

Arthur sourit : « oui, mal conduire ! » pensa-t-il en lui-même.


le cheval fuyait, traînant un brancard.

« Mais ce cheval a dû manger trop d’avoine cet après-midi ; dès notre sortie de Saint-Malo, il est parti à une allure folle. Impossible de le tenir. Là, il s’est accroché à cette borne, en voulant tourner trop court ; les brancards se sont détachés, les lanternes se sont éteintes… Voilà comment nous sommes à demi morts sur cette route tandis que le cheval — satanée bête ! — retourne tranquillement à son écurie… Pardon… j’oubliais de vous dire que je m’appelle Procope ; mes élèves, Sauvageon. »

Ces paroles étaient dites pendant qu’il s’occupait de soigner ses élèves.