Il faisait beau, la campagne semblait se réjouir sous les rayons du soleil couchant, des troupeaux de bêtes passaient. Colette n’avait peur ni des vaches, ni des bœufs, ni des chiens. Elle les appelait et voulait leur donner les morceaux de pain qu’elle avait encore dans les mains.
Arthur fit un beau bouquet de fleurs, de seringa odorant, de roses, de pervenches…
Ils s’assirent sur le talus et regardèrent passer les gens.
Soudain Arthur s’écria :
« Mais il se fait tard. Il faut retourner au bourg. »
Arrivés devant la remise, quel fut leur étonnement en voyant le jeune cocher faire des exercices savants sur la bicyclette d’Arthur !
« Holà ! Holà ! s’écria ce dernier, ma bicyclette ! Vous vous l’appropriez un peu vite. Où sont nos parents ?
— Vos parents ? Eh bien ! en voilà une histoire ! Pas plus de voyageurs que sur ma main. Aussi maintenant, bien malin qui…
— Comment ? s’écria Colette, Mlle Marlvin, Paul ?…
— Charles ? » questionna à son tour Arthur.
Le cocher s’arrêta en voyant la figure consternée d’Arthur et de Colette.
« Oui… l’auto… la dame… mon ami… ? s’écria Arthur au comble de l’inquiétude.
— Personne, je vous dis, personne… Sur la route de Pierrefitte, j’ai dépassé Adost.
— Ciel ! Mais ce n’est pas là !… Ils sont sur la route d’Argelès !
— Mais, riposta le cocher, vous m’avez dit sur la route de Pierrefitte à Argelès, J’ai cru que c’était du côté de Pierrefitte. Vous auriez dû m’indiquer que c’était du côté d’Argelès ! »
Arthur montrait le plus violent désespoir et se reprochait sa légèreté.
« Ah ! mon Dieu ! qu’allons-nous faire ? »
Le pauvre garçon se voyait sans argent, ayant abandonné son ami… et tout ça par étourderie… Ah ! pauvre Arthur ! Quelle tête ! Colette eut pitié de lui. Elle s’approcha, lui prit la main.
« Voyons ! Nous allons les retrouver… »
Des hommes, des femmes entouraient les enfants.
« Bien sûr que Peninou (c’était le nom du cocher) va repartir… Laisser comme ça des personnes sur la route !…
— Naturellement… C’est de sa faute aussi. Pourquoi a-t-il voulu être payé ? Il a tout embrouillé…
— C’est vous qui vous êtes mal expliqué… Vous m’avez dit… »
Tout le monde criait et parlait à la fois ; on aurait dit qu’on se disputait… Ce tumulte aurait immensément amusé Colette si elle n’avait pris en pitié la figure d’Arthur.
Tout à coup quelqu’un fendit la foule ; c’était un grand jeune homme qui saisit Colette dans ses bras et lui donna sur les joues deux baisers retentissants.
Puis, se tournant vers Arthur, il lui demanda en riant, tout en épongeant son front couvert de sueur :
« Et cette voiture que vous deviez nous envoyer ?
— Mais nous vous l’avons envoyée ! »
Paul — car c’était lui qui venait d’arriver à pied — regardait la foule d’un air stupéfait.
Alors les habitants du pays qui se trouvaient là lui expliquèrent tous ensemble comment Arthur et Colette avaient, en effet, envoyé une voiture, comment ils avaient mis en gage une bicyclette, comment le cocher, mal informé, avait pris à droite, au lieu d’aller à gauche, en sorte qu’il n’avait trouvé aucun voyageur auprès d’une automobile démolie.
Au milieu de tant de paroles véhémentes, Paul eut beaucoup de peine à comprendre ce qui s’était passé. Il y parvint cependant.
Alors il s’enquit d’un véhicule. On lui apprit qu’une automobile était disponible. Il donna l’ordre de la tenir prête à partir.
« Il faut au plus vite aller calmer cette pauvre Mlle Marlvin. »
Au moment où il prononçait ces mots, voilà que celle-ci, appuyée sur le bras d’un automobiliste à grosses lunettes, fendit la foule.
« Elle n’est pas morte ! » s’écria-t-elle en apercevant Colette, et elle faillit encore s’évanouir.
La foule se mit à vociférer encore plus fort.