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— Eh bien, voilà ! dit le bateleur, en se grattant l’occiput, je pensais d’abord comme vous. Je m’imaginais qu’il n’y avait pas d’autre mode d’éducation et j’ai pris un fouet, simplement pour qu’il ait peur. Qu’est-ce que vous croyez qu’il a fait ?

— Il vous a mordu ? griffé ?

— Ben ! S’il avait voulu entamer ce petit jeu-là, je ne serais plus là à causer. Regardez-donc ses biceps et sa mâchoire. Heureusement que pour la douceur, il ne craint personne. Non, monsieur m’a tout simplement pris le fouet des mains et il est allé le raccrocher à la muraille. Et puis, c’est difficile à expliquer, mais avec des gestes à lui, il m’a fait comprendre que, pour travailler dans ces conditions-là, c’était midi sonné. Tandis qu’avec de la politesse il suffit de lui demander. Il fait tout ce qu’on veut.

— Vous blaguez !

— Je blague ? s’écria Godolphin, d’un air courroucé. Eh bien, vous allez voir si je blague !

Il se retourna vers le singe qui, pendant ce colloque, fumait avec une satisfaction évidente.

— Allons, ouste ! au travail ! hurla-t-il en frappant du poing sur la table. Le tour de la société et faites le faites le beau.

Sans s’émouvoir, le gorille secoua deux ou trois fois la tête, en regardant tantôt son maître, tantôt la jeune fille.

— Voilà ! dit Godolphin épanoui. Ça ne prends pas. Il faut de la douceur. Et puis, c’est bien simple, quand quelque chose déplaît à monsieur, il ne travaille pas ; il fait grève, quoi ! Alors, je n’ai plus qu’à céder. Il ne s’agit que de le comprendre et je crois que j’y suis arrivé. N’est-ce pas, mon vieux, si tu travailles, c’est parce que je suis un bon bougre, au fond, et que tu ne veux pas me faire rater l’occase de mettre un magot de côté pour mes vieux jours.