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Godolphin. Sais-tu, vieux frère, ce serait drôle si tu étais vraiment un homme et que tu te soies camouflé pour te payer la tronche de bibi, ainsi que celle de la compagnie !

Mais non, c’était bien un singe, un vrai singe qu’il avait devant les yeux.

Rassuré par son examen, il s’écarta de deux pas.

— Tu m’as fichu la frousse ; sourit-il. Tout de même, pour un Poil-aux-Pattes, tu en sais trop, vraiment trop. Voilà que tu connais l’écriture à présent ! Qu’est-ce qu’il se passe dans ta caboche ?

Le gorille avait repris la craie.

— Je pense ! écrivit-il.

— Troun de l’air ! s’écria Godolphin, émerveillé. Ce n’est pas ordinaire, sais-tu ? Je comprends que tu te pousses du col et que tu te montes le bourrichon. C’est égal, vieux frangin tâche de ne pas t’emballer.

C’est malsain.

Il avait cessé de s’effrayer, trouvant, dans sa jugeote, l’aventure presque naturelle. C’était un singe savant, trop savant. Alors, n’est-ce pas ? sa science lui avait monté au cerveau : il déménageait, il perdait la boule.

— Et tu me comprends ? Vrai ? demanda-t-il.

— Je te comprends, traça sur le tableau la main du gorille.

Rapidement il effaça les deux lignes et écrivit, d’une écriture un peu tremblée, cette fois :

— J’étais un homme.

Et deux grosses larmes s’échappèrent de ses yeux.

— À la bonne heure ! s’écria Godolphin, sans remarquer ce désespoir. Tu deviens raisonnable. On pourra peut-être s’entendre. Tu étais un homme ? T’as rudement changé fiston. Il doit y avoir longtemps.